Après une semaine de chaos sur les marchés, Trump a estimé que la prudence était la meilleure des bravoures et a suspendu ses tarifs douaniers « réciproques ». Pourtant, la guerre commerciale bat toujours son plein, et les marchés restent fébriles.

Le soulagement temporaire ressenti par les marchés s’est rapidement estompé à mesure que les traders prenaient conscience de la réalité. Certes, certains droits de douane ont été évités, mais beaucoup restent bel et bien en place. Malgré un léger rebond du marché en réponse aux concessions de Trump, le S&P 500 est en baisse, les prix du pétrole sont à nouveau descendus à 64 dollars le baril, et le rendement des obligations américaines à 10 ans est remonté à 4,3 %.

Avec un minimum de 10 % sur toutes les importations, 145 % sur celles en provenance de Chine, 25 % sur l’acier, l’aluminium, les voitures et les pièces automobiles, et 25 % sur le Mexique et le Canada (avec des exemptions prévues par l’ACEUM), le tarif douanier moyen des États-Unis s’élève désormais à 30 %, contre 2 % lorsque Trump est arrivé au pouvoir. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis 100 ans, plus élevé encore qu’à n’importe quel moment des années 1930.

Les conséquences de cette situation sont faciles à anticiper. Trump lui-même a reconnu qu’il allait y avoir de la « douleur ». Pour le commerce mondial, le fait que le plus grand marché de la planète impose des droits de douane à 30 % constitue un bouleversement majeur.

Les réservations de porte-conteneurs ont chuté de 49 % à l’échelle mondiale durant la première semaine d’avril. Les réservations pour les importations vers les États-Unis ont, quant à elles, baissé de 64 %. La pause de 90 jours pourrait offrir un certain répit, mais de nombreuses entreprises qui commandent à l’étranger font face à des délais bien plus longs — autrement dit, ce qu’elles commandent aujourd’hui mettra plus de 90 jours à arriver. Elles préfèrent donc attendre de savoir si les droits de douane seront rétablis ou non.

L’incertitude, en elle-même, a un effet profondément corrosif sur l’économie mondiale, aussi bien sur les commandes que, plus encore, sur les investissements. Qui voudrait construire une nouvelle usine dans un tel contexte (que ce soit aux États-Unis ou ailleurs), alors qu’il est impossible de savoir d’où proviendront les composants ?

 L’idée de Trump est, naturellement, d’utiliser les droits de douane pour forcer toutes les usines à se relocaliser aux États-Unis. C’est un rêve dystopique / Image : Maison Blanche, Flickr

L’idée de Trump est, naturellement, d’utiliser les droits de douane pour forcer toutes les usines à se relocaliser aux États-Unis. C’est un rêve dystopique. C’est justement le développement de l’industrie au cours des dernières décennies qui a entraîné une spécialisation accrue et une division internationale du travail. Pour produire les technologies avancées utilisées aujourd’hui, même l’immense marché américain ne suffit pas.

Le fait que l’État-nation constitue une limite au développement des forces productives a été démontré à maintes reprises par les marxistes : par Marx, Engels, Lénine et Trotsky.

Prenons l’exemple du moteur d’avion à fuselage étroit CFM56, très populaire chez General Electric. Il est assemblé dans deux usines, l’une dans l’Ohio et l’autre en France, celle de l’Ohio livrant à Boeing, celle de France à Airbus. Cependant, la production des composants nécessaires à l’assemblage du moteur dans les deux usines est elle-même divisée en deux : la moitié des pièces est produite en France, l’autre moitié aux États-Unis. Autrement dit, il n’existe qu’une seule chaîne de production mondiale pour l’avant-dernière étape de fabrication.

Pour éviter le droit de douane de 10 %, General Electric devrait construire une nouvelle usine aux États-Unis et, une fois que l’Union européenne aura riposté, une autre en France. Il ne fait aucun doute que les coûts seraient très élevés. Et il ne s’agit là que de l’avant-dernière étape. N’importe lequel des composants hautement spécialisés nécessaires à cette étape pourrait lui aussi être soumis à des droits de douane, beaucoup d’entre eux provenant probablement d’un petit nombre de fournisseurs situés en Asie de l’Est, en Europe ou aux États-Unis.

Un autre exemple est celui d’ASML, qui produit les machines de lithographie les plus avancées au monde. Elle collabore avec 5 000 fournisseurs directs à travers le monde pour fabriquer cette machinerie extrêmement complexe. Naturellement, ces fournisseurs ont eux-mêmes leurs propres fournisseurs, et ainsi de suite. Fragmenter ces chaînes d’approvisionnement augmenterait une fois de plus le coût de ces machines, et pourrait même rendre leur production impossible.

De nombreux exemples similaires peuvent être tirés de l’industrie automobile, où tout, de la transmission aux boîtes de vitesses en passant par les moteurs, nécessite un grand nombre de pièces très spécialisées, fabriquées selon des spécifications très strictes. Un PDG d’un constructeur automobile a souligné que le simple processus de validation de nouveaux fournisseurs prenait plusieurs mois, le temps de s’assurer que la qualité des produits respecte les normes exigées.

Pas étonnant que, comme l’a dit Trump en annonçant son recul, « certaines personnes ont un peu déraillé, elles sont devenues… surexcitées, vous voyez ». Bien que la plupart des opérateurs de marché — tout comme Trump et ses conseillers issus de fonds spéculatifs — soient probablement peu conscients de la complexité de la production industrielle moderne, la réalité commence à leur apparaître, et ils deviennent effectivement un peu « surexcités » en conséquence.

La guerre commerciale avec la Chine entraînera à elle seule une désorganisation massive. Les droits de douane, à 125 %, sont désormais tout simplement prohibitifs. Le gouvernement chinois a fait savoir qu’il ne les relèverait pas davantage, car « cela n’aurait plus aucun sens économique et deviendrait une plaisanterie dans l’histoire de l’économie mondiale ».

Ces droits de douane sont une catastrophe annoncée pour de nombreux industriels américains qui dépendent des pièces chinoises. Goldman Sachs estime que la Chine détient un monopole (plus de 70 % du marché) sur un tiers des produits importés par les États-Unis depuis la Chine. Il sera donc extrêmement difficile de trouver des fournisseurs alternatifs disposant de la capacité suffisante pour combler ce vide.

L’économie américaine se dirige rapidement vers une récession. À titre d’exemple, le fabricant de machines-outils Haas Automation, situé au nord de Los Angeles, a rapporté une chute brutale de la demande, tant domestique qu’internationale. L’investissement en capital est souvent la première chose que l’on coupe en période de récession.

Les gouvernements européens sont tout aussi inquiets, terrifiés par les effets de contagion sur l’économie du continent. Non seulement ils doivent faire face à des droits de douane de 10 % sur toutes les exportations vers les États-Unis et de 25 % sur les exportations stratégiques de métaux, voitures et pièces automobiles, mais tous les produits qui étaient jusque-là destinés aux États-Unis vont désormais devoir trouver un autre marché. Comme cela s’est déjà produit avec l’acier et les véhicules électriques, il est probable que les produits chinois inonderont à présent les marchés européens.

Dans une réaction teintée de panique, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a tenté de joindre le Premier ministre chinois Li Qiang. Elle aurait obtenu de lui une promesse de « coopérer avec l’Europe » pour éviter des perturbations sur les marchés mondiaux. Toutefois, le compte rendu officiel chinois de cet échange a mis l’accent sur la nécessité du libre-échange et critiqué les droits de douane européens sur les véhicules électriques : « Le protectionnisme ne mène nulle part », lui aurait-il déclaré, « l’ouverture et la coopération sont la voie à suivre pour tous ».

Il est clair que les industriels chinois devront trouver des débouchés pour leurs produits, et que le gouvernement chinois devra s’en assurer, afin d’éviter une récession dans son propre pays et de renforcer sa position face aux États-Unis.

Autrement dit, la crise ne fait que commencer. Les travailleurs du monde entier observent ce spectacle avec un mélange d’horreur et de fascination, alors que la classe capitaliste conduit l’économie mondiale droit dans le mur.

Trump promet de revenir aux années 1950 ou 1960, à l’époque où l’économie américaine était florissante et où les travailleurs bénéficiaient de conditions et de salaires plus décents / Image : Michael Vadon, Wikimedia Commons

Trump promet de revenir aux années 1950 ou 1960, à l’époque où l’économie américaine était florissante et où les travailleurs bénéficiaient de conditions et de salaires plus décents. Les libéraux, quant à eux, souhaitent naturellement revenir à l’année dernière. « Si seulement Trump, ou l’AfD, ou Farage, ou Le Pen n’étaient pas là. » « Si seulement tout le monde pouvait s’accorder de nouveau à dire que le protectionnisme est une mauvaise chose. »

Même s’il y aura sans doute des fluctuations au niveau des droits de douane au cours de la période à venir, la direction générale est établie depuis un certain temps. Biden et Obama ont tous deux pratiqué le protectionnisme : Obama avec son plan de relance économique de 2009, dans lequel il a lancé le slogan « Buy American » ; et Biden avec son Inflation Reduction Act. Trump ne fait que pousser cette logique un cran plus loin.

La réalité, c’est que l’économie capitaliste est en déclin, et aucun gouvernement ne peut y remédier. Lorsqu’ils ne nous proposent pas une nouvelle cure d’austérité, tout ce qu’ils peuvent offrir aux travailleurs, c’est le remède miracle du protectionnisme. Cela pourrait, au mieux, offrir un soulagement temporaire, mais au prix d’un approfondissement de la crise à l’échelle mondiale.

Alors que les gouvernements capitalistes imposent des attaques massives contre les travailleurs du monde entier, la lutte des classes sera à l’ordre du jour. Une guerre commerciale fait planer la menace du chômage de masse et de l’inflation. La classe ouvrière devra se mobiliser pour éviter la misère.

La question ne se résume pas réellement à un choix entre libre-échange et protectionnisme, bien que ce dilemme semble hanter l’esprit des dirigeants du mouvement ouvrier. Dans un contexte de crise profonde, aucune de ces deux options ne nous fera progresser d’un pouce. Si nous nous limitons à ce qui est réalisable dans le cadre du capitalisme, nous nous condamnons à la misère et à la précarité. La lutte ne peut avancer qu’avec des revendications socialistes, à commencer par la nationalisation, sous le contrôle des travailleurs, de toutes les industries menacées de fermeture. Les dirigeants syndicaux ont abandonné le socialisme, mais la crise l’a replacé au cœur de l’agenda.