Cet été, le Bangladesh a été le théâtre d’un soulèvement révolutionnaire héroïque. Malgré une répression meurtrière qui a causé plusieurs centaines de morts, le mouvement a culminé en une grève générale accompagnée de manifestations de masse. Le dos au mur, la présidente Sheikh Hasina a démissionné avant de fuir le pays le 5 août.
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Le piège du gouvernement provisoire
Terrorisée par la révolution, la classe dirigeante a compris qu’elle ne pouvait plus écraser le mouvement par la force – pour le moment. Elle a donc choisi la ruse. Les chefs de l’armée ont négocié avec les leaders étudiants pour former un gouvernement provisoire dirigé par Muhammad Yunus, titulaire du Prix Nobel de la paix en 2006.
La presse et les dirigeants des puissances impérialistes ont applaudi à tout rompre. Ce sont leurs profits, avant tout ceux des multinationales du textile, qui étaient menacés par la mobilisation révolutionnaire et par la grève générale. Les impérialistes appuient donc ce nouveau gouvernement et espèrent qu’il marquera un « retour à l’ordre ».
Le Premier ministre Yunus est leur homme de confiance, un banquier proche des entreprises occidentales. Il n’a joué aucun rôle dans le soulèvement. Son Prix Nobel de la paix en 2006 récompensait la création d’une banque de microcrédit, un système qui est devenu synonyme de surendettement et de suicide pour de nombreux Bangladais pauvres.
Son gouvernement de « réconciliation » est constitué de grands patrons, de banquiers, de juges et d’ambassadeurs. Seuls deux dirigeants étudiants y ont été intégrés, à des postes mineurs. Ils jouent un rôle de pure figuration, pour donner aux masses l’impression que leurs revendications seront représentées au gouvernement.
En réalité, ce gouvernement n’a qu’un seul but : distraire l’attention du mouvement, en accordant quelques réformes démocratiques et sociales, jusqu’à ce que les masses s’épuisent. A ce moment-là, les généraux qui se tiennent dans l’ombre de Yunus passeront à l’action et déchaîneront une répression féroce.
Poursuivre la révolution
Pourtant, rien n’est encore joué. Malgré toute sa violence, la police de Hasina a été incapable de contenir le soulèvement lorsque celui-ci a pris un caractère massif. Près de 450 des 600 commissariats du pays ont même été incendiés par les manifestants.
Un nouveau pouvoir a commencé à émerger au cœur même du processus révolutionnaire. Les étudiants et les travailleurs ont constitué des comités pour organiser leur lutte et empêcher le pays de sombrer dans le chaos. Après avoir chassé la police des rues, ces comités ont organisé la circulation routière, défendu les bâtiments publics contre les pillages, et constitué des organes de lutte contre la corruption. On a aussi vu apparaître des comités de surveillance des prix, pour lutter contre les spéculateurs qui tentent de profiter de la crise politique. Toutes ces structures établies par les masses elles-mêmes représentent l’embryon d’un véritable pouvoir révolutionnaire et démocratique des travailleurs du Bangladesh.
Ce spectacle terrifie la classe dirigeante et les impérialistes, qui auraient préféré que la chute d’Hasina se traduise par un plongeon dans le chaos et la violence, car ils auraient alors pu « rétablir l’ordre » à leur façon.
Encore aujourd’hui, les médias bourgeois tentent d’affaiblir le mouvement en accusant les révolutionnaires de mener des attaques racistes contre la minorité hindoue. Ce sont des calomnies : les seuls hindous à avoir été inquiétés durant le mouvement sont des dirigeants de la ligue Awami, le parti de l’ex-présidente Hasina. Loin de se livrer à des « violences communautaires », les étudiants et les travailleurs révolutionnaires ont au contraire organisé des brigades d’autodéfense pour protéger la population. On a même vu des élèves des écoles religieuses musulmanes monter la garde pour protéger des temples hindouistes et leurs fidèles.
Au Bangladesh, on assiste à une situation classique de « double pouvoir » : d’un côté se tient l’appareil d’Etat au service de la classe dirigeante, qui se réorganise et se prépare à réprimer le mouvement révolutionnaire. Yunus a fait rouvrir les commissariats par l’armée et ordonné aux comités de défense révolutionnaire de remettre toutes leurs armes à la police. De l’autre, on trouve les comités mis en place par les masses. Cette situation ne peut pas durer éternellement. Ces deux pouvoirs représentent des intérêts de classe différents et antagonistes. À un moment ou un autre, l’un d’entre eux doit chasser l’autre.
L’exemple des comités montre que les masses sont capables de gérer la société par elles-mêmes. Pour déjouer les pièges de la classe dirigeante, qui se dissimule derrière le « philantrope » Yunus, la révolution doit continuer à avancer. Les comités doivent être étendus pour toucher l’ensemble de la classe ouvrière. Ils doivent être coordonnés à l’échelle nationale, à travers des délégués élus et révocables, pour constituer un véritable pouvoir alternatif au gouvernement provisoire.
Enfin, au sein du mouvement, les éléments les plus avancés doivent s’organiser autour d’un programme communiste. C’est la seule voie pour porter la révolution jusqu’à la victoire, c’est-à-dire pour mener la classe ouvrière au pouvoir et renverser le capitalisme et l’impérialisme.