Le paysage mondial subit des changements sismiques, avec des lignes de faille qui s'approfondissent entre les puissances hégémoniques en déclin et les puissances émergentes. À l'instar des plaques tectoniques qui s'affrontent, ces changements provoquent des éruptions de conflits et d'instabilité. Les États-Unis, qui ont longtemps été la principale puissance impérialiste, doivent aujourd'hui faire face à la remise en cause de leur domination par une Chine renaissante, une Russie défiante et une multitude d'acteurs régionaux en quête d'une nouvelle autonomie. Pourtant, au milieu de ces luttes de pouvoir, les contradictions du capitalisme laissent le monde vaciller au bord d'un plus grand chaos et exigent une réponse audacieuse et internationaliste.

Une puissance en déclin et un challenger en pleine ascension

Pendant des décennies, les États-Unis ont joui d'une suprématie économique et militaire inégalée. Mais les dernières décennies ont révélé les limites de l'impérialisme américain. Des retraits humiliants en Afghanistan à l'enlisement dans le bourbier de la guerre en Ukraine, l'emprise de Washington sur les affaires mondiales s'est visiblement affaiblie. La part du PIB américain dans la production mondiale a chuté de manière spectaculaire, passant de 34,6 % en 1985 à 26,3 % aujourd'hui, tandis que celle de la Chine est passée de 2,5 % à 16,9 % au cours de la même période.

La montée en puissance de la Chine a été principalement économique, soutenue par des investissements massifs dans les infrastructures, la technologie et les réseaux commerciaux mondiaux. Son initiative « la Ceinture et la Route » et ses partenariats stratégiques avec des pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie représentent une nouvelle forme d'impérialisme, qui projette son influence par le biais de prêts, de projets de développement et d'accords commerciaux. Cependant, les limites de la croissance chinoise deviennent également apparentes, alors que son économie ralentit et que ses niveaux d'endettement augmentent, soulignant les vulnérabilités de son modèle.

Une partie de la gauche (réformiste ou stalinienne) a salué la formation de différents blocs impérialistes comme une force modératrice contre l'impérialisme américain, dans le sillage de l'effondrement de l'Union soviétique. Ainsi, la montée de la Chine capitaliste, de la Russie ou de certains BRICS (Brésil, Inde, Afrique du Sud...) annoncerait un nouvel ordre mondial qui serait plus favorable à la lutte des classes à l'échelle internationale.

La guerre en Ukraine : une ligne de faille mondiale

La guerre en Ukraine illustre l'aggravation des fissures dans les relations mondiales. Les États-Unis ont cherché à affaiblir la Russie - l'allié le plus puissant de la Chine - par des sanctions et un soutien militaire à Kiev. Mais au lieu d'isoler Moscou, ces politiques l'ont rapproché de Pékin. Les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine ont explosé et l'économie russe s'est réorientée vers l'Asie et le « Sud global » (comme certains aiment nommer les anciens pays coloniaux), défiant les attentes occidentales d'effondrement économique.

Dans le même temps, la guerre a mis en évidence les fractures au sein de ce que l'on appelle l'alliance occidentale. L'Europe, qui dépend fortement de l'énergie russe, a subi de plein fouet les retombées économiques du conflit. La hausse des coûts de l'énergie a paralysé la compétitivité européenne, en particulier en Allemagne et en France, tandis que la loi américaine sur la réduction de l'inflation - un acte flagrant de nationalisme économique - a encore aliéné ses alliés. Les élites capitalistes européennes discutent ouvertement d'une voie indépendante, à l'abri des diktats américains, et le président américain menace en retour de quitter l'OTAN. La question est de savoir si une OTAN européenne serait plus progressiste que l'actuelle. La classe ouvrière (de n'importe quel pays) a-t-elle un intérêt objectif à se ranger du côté de la classe capitaliste dans ces « différends » ? Certains pensent que c'est le cas.

Multipolarité et Mutinerie

Au-delà de l'Europe, les pays du « Sud » résistent de plus en plus au choix binaire entre s'aligner sur les États-Unis ou sur leurs rivaux. Ces mêmes choix sont truffés de contradictions. L'Inde, par exemple, a profité des prix réduits du pétrole russe tout en maintenant des liens étroits avec Washington. Le gouvernement de Modi est un solide allié d’Israël et négocie l’immigration de main-d’œuvre indienne pour remplacer les Palestiniens qui ne peuvent plus travailler en Israël.

Le Brésil, sous la direction de Lula da Silva, a ouvertement critiqué l'approche des États-Unis à l'égard de l'Ukraine, préconisant des négociations de paix plutôt qu'un conflit prolongé mais il pousse pour un accord de libre-échange avec l’UE. En Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient, les pays tirent parti de la multipolarité pour affirmer une plus grande autonomie en matière de politique étrangère.

Ce refus de s'aligner exclusivement sur l'Occident souligne une vérité plus profonde : l'ordre mondial de l'après-guerre froide est en train de s'effondrer. Alors que la domination des États-Unis était autrefois incontestée, le paysage géopolitique d'aujourd'hui est marqué par la fragmentation et le changement. Dans ce contexte, l'émergence de blocs tels que les BRICS et les accords régionaux négociés par la Chine mettent en évidence le manque de pertinence croissant des institutions centrées sur l'Occident.

Il est important de comprendre et d'expliquer que de tels mouvements ne sont pas nécessairement progressistes. Dans le numéro d'été de la revue théorique de la PTB/PVDA (Lava), Vijay Prashad (qui est connu pour défendre une sorte de retour aux principes de la conférence de Bandung) interroge Peter Mertens sur son nouveau livre (Mutinerie). Après avoir expliqué que la Namibie est une ancienne colonie qui a obtenu son indépendance grâce à la lutte de guérilla du SWAPO (South West Africa People's Organization), mais qui est aujourd'hui un régime néolibéral, il poursuit : « Cette année, le premier ministre namibien s'est rendu à la conférence de Munich sur la sécurité. L'hôte allemand a demandé pourquoi la Namibie ne condamnait pas la Russie, par rapport au conflit en Ukraine. Le premier ministre a répondu que lorsque la SWAPO s'est battue contre l'apartheid, c'est l'URSS qui l'a soutenue et non l'Allemagne. Peter Mertens termine en disant « Le Premier ministre namibien fait donc partie de la mutinerie. Elle représente une force avec laquelle nous serons peut-être en désaccord au niveau local, mais je la placerais dans le cadre de la mutinerie mondiale. Si nous nous limitons aux luttes avec lesquelles nous sommes d'accord, nous passerons à côté des véritables changements dans le monde ».

Cette 'mutinerie' paraît assez loin de la lutte de la classe ouvrière à l'échelle internationale et a pour conséquence l'abandon de la construction d'une organisation communiste internationale. Ce type d’analyse escamote aussi le caractère (sous-) impérialiste de ces pays, de la Chine en particulier. Pour notre part nous refusons de devenir des cheerleaders de l'un ou l'autre politicien bourgeois. Nous préférons soutenir en toute indépendance des gouvernements et des classes capitalistes la lutte de la classe ouvrière révolutionnaire qui s'exprime dans des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh, le Kenya et autres !

Le rôle du capitalisme dans l'instabilité mondiale

Sous ces secousses géopolitiques se cache la crise fondamentale du capitalisme. Il est donc erroné d'essayer de construire des alliances temporaires et superficielles avec des élites capitalistes qui pourraient, à un moment donné, adopter une position différente. Les communistes doivent analyser les forces en présence et ne pas se contenter de rechercher une aile « plus progressiste » d'une puissance impérialiste. Les contradictions inhérentes à un système axé sur le profit plutôt que sur les besoins humains se manifestent par des inégalités croissantes, la destruction de l'environnement et la guerre perpétuelle. Le déclin relatif de l'impérialisme américain, au lieu d'ouvrir la voie à un monde plus pacifique, a intensifié la concurrence entre les puissances rivales, chacune se disputant les ressources, les marchés et les avantages stratégiques.

La guerre en Ukraine, l'agitation perpétuelle au Moyen-Orient et même les tensions économiques entre les États-Unis et l'Europe reflètent cette crise systémique. Alors que les puissances impérialistes se disputent la suprématie, la classe ouvrière et les peuples opprimés du monde en subissent les conséquences – que ce soit par la guerre, la pauvreté ou les déplacements de population – et n'ont rien à gagner à apporter leur soutien à telle ou telle puissance secondaire.

Le déclin relatif actuel de l'impérialisme américain n'a pas créé un monde multipolaire où d'autres acteurs jouent un rôle « pacifique », mais un conflit généralisé entre puissances qui, comme l'a montré le cas syrien, pousse les masses d'un pays à l'autre à passer du mauvais au pire !

Vers une alternative socialiste

Pour les communistes et les révolutionnaires, ce moment exige clarté et action. Il ne s'agit pas de se ranger du côté d'un bloc impérialiste contre un autre, mais d'exposer la faillite de l'ensemble du système. La classe ouvrière, organisée au-delà des frontières, doit rejeter les récits nationalistes et militaristes colportés par les élites dirigeantes. Elle doit, au contraire, se concentrer sur la construction de la solidarité et la lutte pour le socialisme, un système qui donne la priorité aux besoins humains plutôt qu'aux profits.

Comme l'affirmait Lénine il y a plus d'un siècle, « l'impérialisme est le stade suprême du capitalisme ». Aujourd'hui, cette vérité est illustrée de manière éclatante par les conflits et les crises qui ravagent la planète. Pourtant, la solution ne réside pas dans le désespoir, mais dans la lutte. Les fissures de l'ancien ordre offrent des opportunités pour en construire un nouveau, fondé sur la coopération, l'égalité et la démocratie. Le défi est immense, mais le potentiel de transformation l'est tout autant.

Notre revue

 
couverturerevolutionPalestine

Facebook