Des millions de foyers se replient sur eux-mêmes à cause du confinement. Vivre cette période entouré de ses proches permet sans doute à des millions de personnes de mieux traverser cette épreuve. Mais dans le même temps, le confinement exacerbe tous les maux pesant sur la famille ou le couple et engendre des situations dramatiques.
Dans un récent rapport, l’ONU s’alarme d’une flambée des violences familiales à travers le monde. Aux Etats-Unis, en Malaisie, au Liban, en Chine, les appels liés aux violences familiales ont doublé voire triplé. Les services d'urgence à travers l'Europe ont enregistré une hausse allant jusqu'à 60% des appels de femmes victimes de violences conjugales pendant le confinement, a alerté l'OMS Europe le 7 mai 2020. En Belgique comme partout ailleurs, les violences envers les femmes augmentent en cette période : une hausse de 70% d’appels a été constatée au numéro Écoute violences conjugales (0800/30.030). Malgré tout, force est de constater qu‘il est difficile de connaître le nombre réel de cas de violence envers les femmes et les enfants : confinées avec un compagnon violent, sans possibilité de s’échapper, dans une promiscuité qui augmente les tensions, ces femmes ne peuvent pas (ou difficilement) appeler au secours, étant surveillées et sans possibilité de s’isoler pour lancer un appel à l’aide. A Mons, les pharmacies ont mis en place un dispositif qui permet aux femmes de demander de l’aide discrètement.
On ne peut pas faire confiance aux différents Etats pour lutter efficacement contre ces violences. Au contraire, la crise sanitaire que traverse le monde s’accompagne de nouvelles attaques envers les droits des femmes. Aux Etats-Unis par exemple, plusieurs Etats ont déjà décidé de suspendre l’accès à l’avortement, au motif qu’il mobiliserait du personnel soignant aux dépens de la lutte contre le COVID-19.
La famille sous le capitalisme
L’argument du confinement et des souffrances qu’il entraîne est souvent mis en avant pour expliquer la montée des violences familiales. C’est vrai dans une certaine mesure. Mais les racines du problème sont en réalité plus profondes.
Contrairement à l’image idyllique promue au cinéma, la famille actuelle n’est pas un havre de paix protégée de la violence de la société. Le chômage, la précarité, la peur du lendemain, les préoccupations économiques, les logements insalubres ou inadaptés et la division des tâches domestiques affectent les relations au sein de la famille «traditionnelle» et l’épanouissement de ses membres.
La situation économique de nombreuses femmes les maintient dans une situation de dépendance à l’égard de leur conjoint. Les logements trop petits privent d’intimité les membres du foyer et favorisent les tensions. L’absence – ou l’insuffisance – de prise en charge par la société du soin aux enfants et aux personnes âgées, ainsi que des tâches domestiques, reportent ces travaux sur les épaules des femmes.
Ces problèmes existaient avant le confinement. Le foyer familial était déjà le théâtre privilégié de toutes sortes de violences envers les femmes et les enfants. Avec le confinement, même les rares tâches assurées par la société ne le sont plus, et ce sont les femmes qui en font les frais. Les inégalités entre les sexes sont renforcées, ainsi que les violences qui en découlent. Des millions de femmes à travers le monde se retrouvent isolées dans leur foyer, ce qui rend encore plus difficile la possibilité de trouver de l’aide pour sortir d’une relation abusive.
Contre les violences domestiques, il faut encore et toujours des moyens!
De nombreuses victimes n’osent pas se manifester, car elles savent qu’elles ne seront pas accompagnées dans cette épreuve. Il est nécessaire de prendre des mesures d’urgence. Des lieux d’accueil doivent être mis en place sur l’ensemble du territoire pour accueillir les femmes victimes de violence. Quand la situation l’exige, il faut pouvoir réquisitionner des chambres d’hôtel pour une durée illimitée. En fonction des situations, il faut privilégier l’éloignement de l’homme du domicile : ce n’est pas aux victimes de devoir fuir ce dernier. Une allocation d’un montant suffisant doit être attribuée aux femmes sans ressources victimes de violence. Les lieux d’écoute doivent être multipliés, animés par des femmes formées sur ces questions et rémunérées. De nombreuses associations assurent déjà ce travail : il faut leur donner les moyens financiers de le poursuivre et de se développer.
En Belgique, une task force a récemment été mise en place par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), la Région bruxelloise et la Cocof (Commission communautaire française), dont la mission est de s’assurer que les infrastructures d’accueil permettent de répondre aux besoins d’éloignement en urgence du domicile.
Mais il faut aller encore plus loin. Avant l’épidémie, des millions de femmes à travers le monde se sont mobilisées contre les violences sexistes, notamment lors de la journée du 8 mars. Ces mobilisations portaient un profond potentiel révolutionnaire. Aujourd’hui, ce sont bien souvent des travailleuses qui sont en première ligne dans la lutte contre le virus. Toutes ces femmes ne se satisferont pas d’un retour à une «situation normale» avec ses bas salaires, ses violences de toutes sortes, le mépris pour les professions fortement féminisées, etc.
Pour en finir avec ce monde, il faut poser les bases d’une société dans laquelle les femmes et les hommes seront libres de réaliser tout leur potentiel sans contrainte matérielle.