[Cet article fait suite à un entretien avec la sœur d’Imad, Ouafah]
Dans une société de plus en plus fracturée, en proie à la banalisation du racisme et à la montée de l’extrême droite, les violences policières passent de plus en plus souvent pour de simples faits divers surtout lorsqu’elles sont commises à l’encontre des personnes pauvres et/ou issues de l’immigration vivant dans des parties de la ville complètement ghettoïsées.
Pour autant, cela n’en reste pas moins des violences aux conséquences dramatiques pour les familles des victimes, qui se retrouvent largement désemparées et démunies lorsqu’il s’agit d’aller affronter l’Etat bourgeois et ses institutions devant les tribunaux pour que justice soit rendue. Ne rajoutant ainsi que de nouvelles couches de tracas sur le drame permanent de devoir vivre avec la perte d’un proche, arraché à la famille dans une violence inouïe…
Des violences policières classistes et racistes en augmentation
L’affaire du meurtre d’Imad par la police en est malheureusement un parfait exemple. Imad a été tué alors qu’il ne représentait aucun danger pour les forces de l’ordre. Il était selon toute vraisemblance à l’arrêt dans son véhicule lors des coups de feu tirés par les policiers après une course poursuite dont on ne saura jamais la cause. De plus, il n’était ni armé, ni violent, mais a pourtant été criblé de coups de feu, recevant entre autres une balle dans la tête et une dans le cœur… Le tout sous les yeux d’une partie de sa famille puisque les faits se sont déroulés dans la cité où elle vit.
Comme pour Nahel à Paris ou Mehdi à Bruxelles, le fait de ne pas obéir à une injonction de police ou de commettre un délit de fuite ne mérite pas d’en mourir, même si cela constitue une infraction. Les cas de ce genre se multiplient en Belgique, comme ailleurs en Europe. On se souvient bien sûr de l’affaire Mawda à Mons, où un autre policier cowboy a ouvert le feu sur une camionnette de migrants kurdes tuant d’une balle dans la tête la fillette de 2 ans.
On peut également citer d’autres affaires de ce type ces dernières années, comme le cas d’Adil, d’Ibrahima, de Sourour, de Domenico, d’Ilyes, d’Akram, de Sabrina, de Mohamed Amine, de Lamine et de tous les autres dont les cas n’ont pas été suffisamment médiatisés pour qu’ils nous parviennent.
À chaque fois c’est le même modus operandi qui est employé par la police, l’Etat et la presse bourgeoise, et dont l’extrême droite se fait immédiatement le portevoix : insister sur l’aspect délictueux de l’affaire en salissant le plus possible la victime pour blanchir les coupables en amont du procès.
Aucune remise en question du fonctionnement de la police n’est opérée. Aucune suspicion de racisme chez le policier n’est creusée. Aucune condamnation sérieuse n’est jamais prononcée. Ce qui ne fait qu’augmenter le sentiment d’injustice et la fracture. Parfois même c’est la famille qui est condamnée à devoir payer des milliers d’euros aux policiers lorsque la justice tranche en leur faveur… Une honte de plus au tableau de ce système pourri jusqu’à la moelle !
Parfois aussi, c’est l’ensemble des jeunes victimes de violences policières qui se soulèvent et protestent, comme aux USA avec Blacks Lives Matter, ou plus récemment lors des révoltes des quartiers en 2023 en France.
C’est l’histoire d’une société qui tombe
Dans la plupart des cas, on voit ressortir dans le dossier un mal être profond chez les victimes dont on voit à quel point les difficultés qu’ils et elles ont rencontrées dans leur vie sont liées aux discriminations, aux problèmes d’exclusion et la précarisation que connaissent par cœur les classes les plus pauvres de nos sociétés. Pas plus tard qu’en 2019, un rapport de l’ONU pointait du doigt la Belgique pour son racisme structurel. Ce rapport expliquait en quoi, à salaire égal, à diplôme égal, les personnes afrodescendantes rencontraient beaucoup plus de difficultés pour trouver un emploi, un logement, un logement social, une place dans une crèche… À cela se rajoutent des phénomènes bien observés et étudiés comme le « syndrome méditerranéen » qui prouve l’existence de la discrimination raciste dans les soins médicaux et dont les exemples ne manquent pas.
Par exemple dans l’affaire Imad, celui-ci s’était rendu à plusieurs reprises aux portes des hôpitaux de sa région pour demander de l’aide quant à ses problèmes personnels, mais les réponses qui lui ont été données quelques semaines avant le drame étaient toutes négatives. Il n’y avait « pas de place pour le moment » ou il fallait « attendre un mois ». Alors qu’une personne disposant de moyens trouvera un accès instantané dans un centre d’aide ou de désintoxication privé.
À l’injustice raciste, se rajoute souvent une injustice de classe qui montre également à quel point ce genre de drame pourrait être évité si les services publics étaient en mesure d’accueillir dans les délais adéquats et d’aider tous ceux et celles qui en font la demande.
Au lieu de cela, les pouvoirs en place, à genoux devant la classe capitaliste, préfèrent dépenser de l’argent dans le secteur militaire, investir dans des partenariat de recherche avec Israël tandis que dans le même temps des lits sont fermés dans les hôpitaux, les budgets liés à la santé et la santé mentale sont rabotés, de même que ceux de l’associatif qui crée du tissu social, bref ils préfèrent appliquer les politiques austéritaires tout en s’appuyant de plus en plus sur un appareil répressif pour « régler » le problème de la soi-disant « insécurité ». Alors que ces problèmes de violences sont quasiment systématiquement des problèmes liés à l’abandon des populations les plus précarisées : immigrés, jeunes « en décrochage », chômeurs, personnes en souffrance, malades… Et donc à des choix politiques concrets et conscients.
Une police en roue libre
Le meurtre d’Imad s’est déroulé quasiment sous les yeux de sa sœur et de son ex-compagne, mère de ses deux enfants, à deux pas de leur domicile. Cette cité était connue pour ses problèmes il y encore quelques années, mais depuis environ 10 ans elle est devenue une cité tranquille parmi d’autres. Cela n’a pas empêché la police de déployer un arsenal extraordinaire pour intervenir ce jour-là.
En effet, c’est environ 40 voitures de police venues de toutes les régions aux alentours qui se sont déplacées, pour un total de +- 200 policiers et policières sur place. Alors qu’en face d’eux il y avait une dizaine de personnes, dont les proches d’Imad, qui demandaient avec insistance qu’on leur dise simplement si leur frère, leur fils, leur ex-conjoint papa de deux enfants, est vivant ou mort.
Mais pas une information n’a été lâché par la police, ni par la bourgmestre venue sur place, qui n’a pas une fois exprimé de soutien, qui n’a même pas eu un seul mot pour la famille. La famille a appris le décès d’Imad via les réseaux sociaux… La police s’est contentée de narguer les proches de la victime en affichant des sourires et en menaçant ceux-ci, arme automatique à la main. Un tel déploiement de police pour maintenir 10 ou 15 personnes à l’écart en dit long sur les préjugés qui sont cultivés parmi les rangs des forces de l’ordre en Belgique.
Dans la population des quartiers et des cités, comme parmi les éléments les plus conscients du mouvement ouvrier organisé, peu s’étonnent qu’un jeune prenne la fuite à la vue d’un combi de police tellement celle-ci n’inspire rien de bon dans les relations traumatiques qu’elle entretient avec ceux et celles qu’elle réprime.
Justice pour Imad
La famille a intenté un procès à l’Etat, l’instruction suit son cours. Elle a également demandé à interpeler le conseil de police de Seneffe, mais cela leur a été refusé... Une deuxième demande est en cours de formulation.
Ce que réclament les proches d’Imad est simplement que justice soit rendue (même s’ils ont peu d’espoir de trouver cette justice dans les institutions belges), que les policiers soient condamnés et qu’ils soient surtout mutés ailleurs. Car ces policiers sont toujours en fonction, parcourent toujours les rues de Seneffe, en civil comme en uniforme, et croisent et contrôlent même parfois encore des membres de la famille d’Imad ! Cette situation est particulièrement stressante et difficile à vivre comme on peut se l’imaginer.
En tant que marxistes, nous expliquons que la police n’est pas une institution « neutre » qui sert et protège la veuve et l’orphelin, mais bien le bras armé de la classe dirigeante qui crée même parfois les veuves et les orphelins… La police a pour mission de « faire régner l’ordre », mais pas n’importe lequel : l’ordre d’une société extrêmement inégalitaire, où les violences symboliques et systémiques sont omniprésentes à l’encontre des plus pauvres, surtout lorsqu’ils ont le malheur de ne pas être de la « bonne » couleur/origine.
Le racisme de l’Etat belge, et de ses institutions comme la police, n’est plus à démontrer, les injustices liées aux inégalités du capitalisme belge non plus. L’OCR, l’organisation Communiste Révolutionnaire, lutte tous les jours pour la fin de ce système mortifère et pour son remplacement par un système égalitaire, où la solidarité et l’entraide sont le cœur de tout processus sociétal, où la police est contrôlée démocratiquement par la population et où son rôle perdra son sens premier à mesure que la société tendra vers une société sans classe, réellement démocratique, où chacun reçoit en fonction de ses besoins et donne en fonction de ses moyens grâce à un financement suffisant des services publics, de l’éducation, de l’associatif et de l’emploi.