Raphaël Michiels, travailleur intérimaire du service clientèle de Bpost, a accepté de répondre à nos questions sur la situation de l’entreprise.
Jean-Paul Van Avermaet, le PDG de Bpost, a été licencié mi-mars. La presse fait état du chaos qui règne au sommet. Est-ce que cela se ressent également sur le lieu de travail ?
Il est carrément scandaleux que Van Avermaet puisse rester aussi longtemps à la tête de Bpost. Depuis un an, il est mis en cause dans une affaire de corruption pour délit d'initié. Si l'on en croit les rapports, il est également vrai qu'au cours de l'année dernière, il a été principalement occupé à préparer sa défense juridique, au détriment de son « travail » à Bpost. Inutile de préciser que si un travailleur faisait pareil, il ou elle ne tiendrait pas deux semaines.
Le manque de direction est particulièrement évident sur le lieu de travail. Tout est chaotique, l'infrastructure est dépassée, il y a une énorme pénurie de personnel. Lorsque Van Avermaet a été interviewé au journal télévisé au milieu du pic de décembre au sujet de la forte pression de travail, il a déclaré: « Personne ne pouvait s'attendre à ce nouveau pic de fin d’année ». Pourtant, Bpost avait vécu exactement la même chose six mois plus tôt. Au lieu d’investir dans le personnel et l’infrastructure, les bénéfices ont été directement transférés vers les actionnaires. C'est ainsi que Bpost a pu se hisser au rang de « société belge la plus rentable ».
Le mépris est également très clair. Les deux premiers mois après sa nomination, Van Avermaet a « travaillé » brièvement sur tous les postes de travail. Mais ne vous y trompez pas, il l'a fait avec son salaire de PDG de 637 777€ par an ! Et puis la direction parle des « coûts du personnel » et elle n'engage quasiment que des travailleurs temporaires. Pendant la période de pointe entre le vendredi noir et le jour de Noël, une surcharge spéciale de 1€/expédition a même été justifiée par « l'augmentation du coût de la main-d'œuvre », pour l'embauche de personnel intérimaire.
Il en va de même dans l'administration. On ne prend que des intérimaires, sur la base des salaires les plus bas, sans aucune perspective d'augmentation. Même chez Take Away, vous obtenez une augmentation de 0,5 €/heure après 6 mois... Aucune formation réelle n'est organisée pour les intérimaires, de sorte qu’on est perdu dès le premier jour et que l’on se sent comme un employé jetable. Cela ressemble fortement à une politique délibérée visant à diviser le personnel autour de toutes les frustrations qui découlent de cette situation. Lorsque ces intérimaires partent dès qu'ils le peuvent en raison de leur travail difficile et mal payé, Van Avermaet déclare : « Les jeunes d'aujourd'hui ne veulent pas se lever tôt pour venir travailler. » J’ai aussi entendu dire par mon chef d’équipe lorsqu’un intérimaire quittait - puisqu’il n’avait pas de perspective d’avoir un contrat fixe et qu’il gagnait quasiment la même chose au chômage - « qu’il n’était pas réellement motivé. »
Comment les syndicats réagissent-ils au chaos ?
En 2020, 537 000 colis ont été livrés par jour, soit 56 % de plus qu'en 2019. Et ce, sans les infrastructures, sans recrutement nécessaire, ni direction capable. En pleine période covid, c’est un réel tour de force de la part du personnel postal. Sur cette base, les syndicats peuvent exiger de nombreuses revendications. Une augmentation adéquate, un salaire minimum de €14 net, la fin des contrats intérimaires, une fin de carrière confortable... La liste est longue. Toute victoire chez le plus grand employeur du pays - Bpost emploie 36 000 personnes - aurait un impact bien au-delà de ses frontières.
Mais ce n'est pas l'objectif du sommet des syndicats. Dans le sillage du chaos au sommet, le front commun syndical a pathétiquement proclamé « l'arrêt de la concertation sociale ». Les implications pratiques de cette mesure seront en tout cas nulles, car sans PDG, aucune décision importante n’est prise.
Ceci montre surtout l'horizon que se fixe la direction syndicale de Bpost. N'était-ce pas le moment idéal pour mettre sur la table l'exigence qu'un nouveau manager soit élu et révocable par le personnel et ses syndicats ?
C'est ce que Maria Vindevoghel du PTB a mis en avant dans une certaine mesure : « Pourquoi ne pas laisser les partenaires sociaux de Bpost proposer un candidat ? » A quoi ACOD-Post répondait sur son profil Facebook : « Il ne nous appartient pas de refuser qui que ce soit, ni de le désigner. C'est à nous d'essayer de travailler et ou de négocier avec la personne indiquée. Qui que ce soit. »
Cette attitude est décevante. Le personnel a droit à des responsables compétents et dignes de confiance. Et si quelque chose est devenu clair ces derniers mois, au milieu du chaos managérial et pandémique, c'est que les hommes et les femmes de la poste savent mieux que quiconque ce dont nous avons besoin.
Malgré le malaise, il n'y a pratiquement pas eu de grève chez Bpost le 29 mars. Comment expliquer cela ?
La mobilisation a été un désastre. Les secrétaires syndicaux ont d'abord utilisé l'argument selon lequel Bpost fait partie du secteur public et ne peut donc pas participer à une grève dans le secteur privé. Ils ignorent tout simplement la réalité. La poste est privatisée depuis 1991 et est devenue une vache à lait pour son principal actionnaire, l'État belge, et bien sûr pour tous les autres grands actionnaires. Ces dernières années, des marges bénéficiaires hallucinantes ont été transférées aux actionnaires au détriment de la pression du travail et des salaires.
Au moment où CGSP Cheminots a cassé la division entre secteur privé et public, CGSP Poste et CSC Transcom ont bien appelé à la grève. Mais cela n’a pas aboutit à une mobilisation digne de ce nom. Alors que la CSC ne parlait que des droits à la retraite, la CGSP a également revendiqué l'augmentation du salaire minimum à 14€/heure.
L'organisation des nombreux travailleurs temporaires sur la base de l'augmentation des salaires à 14€/heure est la question centrale afin d'armer les postiers contre la restructuration annoncée. Comme l’a très bien montré le PTB, en 2020, Bpost a réalisé une perte en vendant Bpost Bank à BNP Paribas en dessous de sa valeur de marché. Le prochain PDG voudra récupérer cette perte.
Une unité combative entre les employés ayant un contrat fixe et ceux qui n'en ont pas peut obtenir à peu près tout. Une chaîne logistique comme celle de Bpost est facile à paralyser. Il existe trois grands centres de tri en Belgique : Bruxelles, Anvers et Charleroi. Si nous les bloquons pendant quelques jours, à partir de la deuxième ou troisième journée, nous arrêtons non seulement les livraisons de colis, mais aussi toute l'économie en ligne. Ensuite, on pourra vraiment commencer à dialoguer socialement avec la direction.