La crise du Sud-Est Asiatique et plus récemment la récession de l'économie japonaise, les tourments russes et la contagion vers le continent latino-américain ont réouvert brusquement le débat sur les perspectives d'avenir du capitalisme. Plus spécifiquement dans un marché mondial de plus en plus interdépendant, la crise de surproduction en Asie menace le cycle de croissance de l'économie en Europe et aux Etats Unis. Des voix s'élèvent pour avertir du risque d'une nouvelle récession mondiale. Il n'est pas exclu que celle-ci se transforme en une des plus importantes depuis la seconde guerre mondiale.
Le débat au sein de mouvement ouvrier est également lancé. Aussi bien dans les syndicats que dans les partis de gauche, certains courants se font l'avocat de politiques expansives, de l'accroissement des dépenses et des investissements publics et d'un rôle accru de l'Etat dans l'économie. Ces courants ont épousé le programme de Keynes (économiste britannique du 19ième siècle) comme alternative à la crise, au chômage massif et au démantèlement de la sécurité sociale.
Les recettes du Keynesianisme sont elle une alternative viable pour résoudre la crise du capitalisme? Ces mesures peuvent elles constituer le programme de la gauche et du mouvement ouvrier?
Ces deux questions souvlèvent des aspects aussi bien théoriques à propos de la nature de la crise du capitalisme que pratiques concernant l'alternative que la classe ouvrière doit porter pour en finir avec ce système.
La croissance de l'après-guerre
La caractéristique principale de l'après-guerre est la longue période de croissance qui s'est prolongée jusqu'à la fin des années 60. Celle-ci représente l'explosion majeure d'investissement, de production, de commerce, de science et de technique de l'histoire entière de l'humanité. Tous les évènements politques dans le monde entier en ont été marqués. Les taux de croissance des pays développés ont dépassé ceux de l'entre-guerre et ont eu comme effet de relancer les illusions dans le capitalisme en tant que système viable. Chaque période de développement du capitalisme a des traits communs et des aspects différents. Il a été démontré empiriquement que le mouvement de l'économie de marché se réalise par une succession de cycles d'expansion et de contraction (récession et dépression). Depuis l'expansion qui dura de 1871 à 1912 le capitalisme n'avait pas connu une période de croissance aussi importante que celle qui c'est étendue de 1948 jusqu'au début des années 70. Plusieurs facteurs ont influencé ce processus.
* l'échec de la révolution en Europe occidentale après la guerre, particulièrement en France, en Italie et en Grèce où les travailleurs et paysans armés - les partisans ou résistants au nazisme - encadrés par les partis socialistes et communistes auraient pu prendre le pouvoir. Ce cours imprimé aux évènements a réussi à stabiliser politiquement la situation et a favorisé le croissance économique. C'est la précondition politique à l'expansion économique.
* les effets dévastateurs de la guerre, c'est à dire la destruction d'une quantité formidable de forces productives, aussi bien de capitaix que des biens de consommation ont créé un grand marché.
* l'attitude des Etats Unis vis à vis de l'Europe, très différente à celle adoptée après la première guerre mondiale avec la signature du Traité de Versailles. Face à la menace du bloc soviétique, les Etats Unis ont contribué avec le Plan Marshall a relancer l'économie européenne. Les forces productives des Etats Unis sont sortis intacts de la guerre.
* L'énorme augmentation de la capacité d'investissement dans des capitaux. La naissance de nouvelles industries suite à la guerre (application du plastique, de l'aluminium, de l'électricité, de l'énergie atomique, de l'informatique).
* l'application des inventions développées dans le cadre militaire à la production civile. La croissance rapide de la production dans les industries les plus nouvelles.
* la substitution du vieil étalon or dans le commerce par le dollar comme monnaie internationale imposée par les Etats Unis et en moindre mesure par la Grande Bretagne, aboutit à l'extension phénoménale du crédit et de capital fictif.
* l'expansion du crédit, utilisé afin de surmonter les limites réelles du marché.
* le nouveau marché pour les capitaux dans les pays en développement. L'augmentation de la demande de matières premières dans les pays avancés pour le développement de l'industrie a également favorisé - bien que de manière bien inégale - la croissance dans les payx sous-developpés.
* l'extension du commerce, spécialement l'échange de capitaux entre les pays capitalistes avancés a stimulé grandement l'activité productive.
* l'intervention de l'Etat dans l'économie.
Tout ces éléments ont favorisé un développement sans précédent du capitalisme. Le facteur principal, voire décisif de ce processus est l'explosion des investissements productifs, principal moteur du développement capitaliste. Les grands investissements dans l'industrie et le tournant vers la mécanisation et l'automatisation, ont considérablement accru la productivité du travail augmentant en même temps le capital constant par rapport au capital variable, c'est à dire la proportion du capital investie dans de nouvelles machines, bâtiments etc gonflait en rapport avec la quantité investie dans la force de travail. Tôt ou tard ceci devrait conduire à la chute des taux de profit.
Cette chute du taux de profit, qui s'est accelérée pendant les années 70, s'est reflètée dans la chute des investissements et dans l'amorce de la récession. Marx expliquait à juste titre que la cause fondamentale de la crise est inhérente à la société capitaliste et qu'elle réside dans l'inévitable apparition de surproduction aussi bien de capitaux que de biens de consommation. Lénine dans un article intitulé " A propos de la question dite des marchés", combatait l'idée que la crise trouvait son origine dans la disproportion entre la production et la capacité de consommation , assignant à ce phénomène réel (l'existence d'un déficit de consommation) un rôle secondaire, qui s'appliqait seulement à un secteur de la production. Pour Lénine "ce fait ne pouvait à lui seul expliquer une contradiction plus profonde et fondamentale du système économique celui entre le caractère social de la production et le caractère privé de l'appropriation".
Et l'Etat dans tout cela?
La tendance innée des forces de production à dépasser les limites de la propriété privée oblige l'Etat a intervenir de plus en plus dans la "régulation" de l'économie. L'intervention étatique a été un facteur qui a contribué à l'expansion mais n'en est pas la raison principale. Tout comme cette même intervention publique n'a pu éviter la récession des années 70 ni celle qui sévit actuellement au Japon malgré les investissements gigantesques réalisés depuis 1992. Le rôle accru de l'Etat dans l'économie moderne s'explique par la croissance des forces productives, des multinationales et du développement du capital monopoliste. La fusion du capital monopoliste avec l'Etat qui agit comme un agent direct des grands monopoles n'a rien à voir avec la "régulation" ou la "planification" de l'économie dans le sens socialiste. Cette intervention ne suppose pas non plus l'élimination du rôle dominant du marché. Après la guerre, l'Etat s'est approprié des industries peu rentables ou déficitaires. Les grands investissements qu'exigent leur modernisation n'attirent pas les capitaux privés qui n'y trouvent aucune rentabilité à brève échéance. L'intervention de l'Etat dans ces secteurs n'altére pas les lois fondamentales ni les contradictions propres au capitalisme. Ces secteurs étatisés de l'économie (chemins de fer, mines, sidérurgie, électricité etc.) garantissent des matières premières et des services bon marché aux entreprises privées qui bénéficiaient ainsi des subsides publics.
La vraie raison pour la croissance économique est l'investissment de capitaux productifs comme nous l'avons signalé précédement. Au début des années 60 par exemple, 10% de l'économie en Grande Bretagne était publique. Ce secteur agissait comme levier afin de favoriser la croissance du secteur privé. On peut attribuer le même rôle aux secteurs publics dans les autres pays européens. Même quand l'activité économique des entreprises d'état représentait une part importante du produit interieur brut celle-ci restait insuffisante pour déterminer le mouvement fondamental de l'économie. Ce n'était pas l'industrie d'Etat qui dictait le mouvement de l'industrie privée mais l'inverse.
Le rôle des dépenses publiques
Pourquoi les dépenses publiques de l'Etat capitaliste ne peuvent-elles résoudre les problèmes de l'économie capitaliste. Dans l'économie capitaliste la production se réalise pour le marché et par le biais de celui-ci. Une partie décisive des ressources de l'état, par le biais d'impôts viennent également du marché: ou bien des bénéfices des capitalistes ou des salaires des travailleurs. Si les impôts sur les bénéfices augmentent leurs marges de profit diminueront avec les implications désastreuses pour l'investissement et la production. De l'autre côté une pression fiscale plus forte sur les salaires reduira le marché des biens de consommation. L'Etat ne peut résoudre cette contradiction à cause de son caractère de classe et c'est pour cela que les capitalistes chaque fois qu'ils en ont la possiblité réduisent les impôts sur les bénéfices qui les affectent, augmentant la pression sur les travailleurs.
Quelle est alors la solution Keynesienne? Pour Keynes et son école, le "cycle récessif" pouvait être surmonté en alimentant artificiellement la demande. Le rôle de l'Etat était ici décisif. Qu'importe le déficit si celui-ci entraine une augmentation de l'activité. Ce remède pouvait fonctionner en certain temps durant une période de croissance économique mais au prix d'un endettement astronomique de l'Etat. Neanmoins la situation changait dramatiquement quand se produisit la contraction de l'économie avec la récession de 1973. Le déficit public devenait intenable et inacceptable pour les capitalistes qui se rendaient compte comment le choléra de l'endettement se muait en la peste de l'inflation alimentée par la boule de neige de la dette. La chute de l'économie n' a pas tardé à affecter l'industrie publique. L' avantage provisoire - l'intervention de l'Etat dans l'économie se transformait dialectiquement en un facteur extraordinairement négatif pour l'économie capitaliste. La crise des années 70 révelle le vrai caractère des contradictions du système . Premièrement le taux de profit baissait pendant des années tandis que les investissements continuaient jusqu'à ce que ceux-ci ne soient plus compensés par une augmentation de la plusvalue, même quand le productivité du travail augmentait sensiblement. Cette baisse du taux de profit induit alors à son tour une baisse des investissements suivie par la contraction de la production et finalement par une explosion du chômage. L'inflation et le déficit public soufflant sur les braises de l'incendie.
Monétarisme et Keynesianisme
Les contradictions entre la progression des forces de production d'un côté et la propriété privée des moyens de production et de l'Etat national de l'autre aboutissent à la crise de surproduction et au discrédit du Keynesianisme auprès de tout les gouvernements qu'ils soient de droite ou de "gauche". Les vieilles recettes monétaristes de budgets équilibrés et de privatisations massives d'entreprises publiques allaient alors détruire de centaines de milliers d'emplois et rayer de la carte économique des industries entières. Ces recettes étaient complétées par la précarisation du marché du travail et l'augmentation des bénéfices des entreprises grâce à l'exploitation extrème de la classe ouvrière et la spoliation du Tiers Monde. Néanmoins le sens général du developpement économique est clairement vers le bas depuis 1973. Le cycle ascendant des années 80, signifiant encore plus d'exploitation ouvrière dans les pays avancés et sous-développés n'a pas réussi à éviter le gonflement des déficits publics et l'expansion du crédit. Les grandes puissances impérialistes effrayées par la perspective d'une nouvelle récession ont recourru entre 1985 et 1987 à des mesures économiques qui contredisent leur propre expérience. Afin de prolonger l'ascension du cycle ils ont coordonné leurs politiques financières, pillé encore plus le Tiers Monde et ont eu un recours massif à des crédits et aux dépenses publics. Les effets étaient évidents dans le cycle récessif suivant - 1990/1991 pour les Etats Unis et la Grande Bretagne et 1992/1993 pour le continent européen. La chute était la plus profonde depuis les années 70 et dans certains cas comme en Europe de l'Ouest supérieure dans ses effets destructeurs sur l'emploi, la chute des investissements et de la production. Depuis lors, la bourgeoisie s'est unie sur un programme d'attaques contre les salaires, de dérégulation du marché du travail augmentant la plusvalue absolue et relative et dans une guerre sans quartier contre les déficits publics démantelant l'état-providence. Le capitalisme maintient sa croissance en consommant une partie fondamentale de ses réserves sociales créées dans la période précédente. Ceci aboutira à de nouvelles contradictions et et des explosions de lutte de classe.
La crise organique du capitalisme
Il n'y pas si longtemps que le Fonds Monétaire International prédisait une croissance soutenue des économies asiatiques. Le FMI ajoutait alors que les économies japonaises et européennes reprendraient le relais des Etats Unis et la Grande Bretagne comme locomotives de la reprise économique. La crise du Sud Est Asiatique a donné un nouveau sens de réalisme aux prévisions délirantes des "gurus" du FMI et de la Banque Mondiale. Sans aucun doute la croissance des "Tigres" pendant la deuxième moitiée des années 80 et au début des années 90 a eu comme effet d'amortir la récession à l'Ouest en garantissant un marché pour les biens de productions des grandes économies capitalistes. Malgré cela le développement des "Tigres", la Chine en particulier, nourrit des nouvelles contradtictions, créant de nouveaux concurrents puissants sur le marché mondial pour l'Europe, les Etats Unis et le Japon. Les grands investissements en capital qui se sont faits pendant des décennies en Corée, en Indonésie ou en Thailande entre en collision avec les limites du marché mondial faisant apparaître à nouveau le phénomène connu de surproduction. Les macrhés sont saturés de "semi-conducteurs", d'ordinateurs, de ciment, de pétrole, de plastique et naturellement de produits de consommation bon marchés. La crise de l'économie réelle se combine et est renforcée par le crash financier, entrainant une dévaluation historique des monnaies et un endettement massif des ces économies. Les banques occidentales qui avaient prêté sans regarder s'en trouvent fortement affectées. La récession frappe maintenant cette région "miraculée", qui est à nouveau maltraitée par les recettes sauvages du FMI.
Les conséquences politiques et sociales de cette récession n'ont pas tardé à se manifester. En Indonésie l'augmentation des prix des aliments de base, la pénurie et le chômage ont déclenché une vague de protestation qui s'est transformée en mouvement révolutionnaire contre la dictature. La chute de Suharto n'est que le prélude de ce processus. En Corée du Sud trois grèves générales ont secoué le pays malgré l'effort fait pour arriver à la conclusion de pactes sociaux entre gouvernement et dirigeants syndicaux.
Le Japon en récession
La récession du Japon est un avertissement sérieux, très sérieux de la gravité de la crise. Le Japon est la deuxième puissance économique au monde et domine un tiers du commerce mondial. La crise asiatique n'a fait qu'accentuer ce recul. La récession japonaise est fortement déflatoire; c'est à dire que l'érosion de la production engendre une baisse considérable des prix à la consommation. Les bénéfices des entreprises sont en véritable chute libre (- 45% poour la seule année fiscale 1997) entrainant un diminution des investissements et un gel des salaires. Pour la première fois depuis la guerre, le chômage fait son apparition dans ce pays de l'emploi à vie. En d'autres mots: l'économie japonaise est plongée dans un cercle vicieux: la faible demande interieure fait chuter la production et les prix, mais le découragement des investisseurs empêche une augmentation suffisante des salaires réels et détruit des postes de travail ce qui à son tour détériore encore plus la consommation privée. Quand on sait que 35% des exportations de produits industriels japonais sont à destination de l'Asie ont peut facilement s'imaginer les effets directs sur les bénéfices et sur la production. La crise japonaise trouve son origine dans les causes familières: surprodcution, bulle financière, endettement du système bancaire, limites du marché mondial et le fait décisif de l'énorme interpénétration de l'économie mondial. Comment peut on prétendre que la récession japonaise n'affectera pas les Etats Unis ni l'Union Européenne?
La politique néokeynesienne n'a pas sauvé le Japon . Depuis 1992 des dizaines de millards ont été injectés par l'Etat dans l'économie avec l'objectif de sauver le système bancaire de la faillite et en financant des grands travaux publics visant à réactiver la demande intérieure. Sans beaucoup de résultats car le mouvement de l'économie réelle est soumis à des contradictions que l'Etat capitaliste ne peut résoudre.
L'alternative socialiste
Si le Keynesianisme a échoué, la politique monétariste et néolibérale qui en avait pris le relais s'embourbe encore plus et avec des effets encore plus pernicieux. Baser la croissance sur la surexploitation de la classe ouvrière, l'apauvrissement de la société, la précarisation du marché du travail, le démantèlement des services sociaux et le chômage massif préparent le terrain pour une réaction énérgique des masses vers la gauche. Ces recettes non plus ne résoudront pas la crise. Bien au contraire elles exacerbent la violence de celle-ci.
Le keynesianisme ni le monétarisme ne peuvent donc faire partie de la boite d'outils constituant une alternative pour le mouvement ouvrier. En premier lieu il s'agit de défendre toutes les conquètes sociales. Cette défense ne peut se faire que sur la base d'une mobilisation large, massive et unitaire de la classe ouvrière, les chômeurs et les jeunes. La responsablité pour une telle mobilisation réside auprès des organisations syndicales et des organisations poltiques de gauche en commençant par le Parti Socialiste. Mais le maintien des ces acquis est de plus en plus incompatible avec les intérêts du capital et la crise de son système. Une société de plein emploi, dans laquelle on peut appliquer les avantages du progrès technologique au processus de production rendrait possible l'introduction de la semaine de 30, voire même 25 et 20 heures. Mais cela nécessite que l'on se libère du contrôle du nombre réduit de monopoles, banques et autres grandes entreprises sur nos vies et sur la société. La nationalisation de ceux-ci sous le contrôle et la gestion des travailleurs rendrait possible la planification de l'économie pour les besoins sociaux et non plus pour les intérêts privés. Ce sont là les premiers pas en direction d'une société socialiste.