Cette année marque le 30e anniversaire de la révolution iranienne de 1979. Si l’on en croit la plupart des médias, la force motrice de cette révolution fut le clergé chiite, et singulièrement l’Ayatollah Khomeini. Cette légende passe sous silence le rôle déterminant de la classe ouvrière iranienne, dont la mobilisation massive fut la colonne vertébrale de la révolution, et sans laquelle Khomeini n’aurait jamais pu rentrer de son exil en France.


Ceci étant dit, comment se fait-il qu’une révolution ouvrière ait débouché sur le régime des Mollahs, tout aussi dictatorial et oppressif – si ce n’est plus – que la monarchie du Shah à laquelle il succéda ? Tâchons de répondre à cette question, que l’histoire « officielle » ne se pose même pas.

L’Iran pré-révolutionnaire

L’Iran des années 70 était dominé par les grandes puissances impérialistes, Etats-Unis en tête. Quatrième producteur mondial de pétrole, ce pays occupait une position géo-stratégique de premier plan, notamment du fait de sa frontière avec l’URSS. L’administration américaine avait la haute main sur ses affaires internes. En 1953, la CIA et les services secrets britanniques organisèrent le coup d’Etat qui remit au pouvoir le Shah (le « roi »), un moment écarté par Mohammad Mossadegh.

Dans les années 60 et 70, l’industrialisation rapide du pays développa une puissante classe ouvrière, qui supportait de moins en moins la dictature féroce du Shah et de sa police secrète, la SAVAK. Les arrestations, la torture et les exécutions formaient le quotidien des opposants à la monarchie. Les communistes étaient systématiquement traqués. Tant que le régime du Shah leur parut solide, ces méthodes reçurent la bénédiction des « démocraties » occidentales, dont la France. Mais lorsque les impérialistes comprirent que le maintien de la monarchie risquait de provoquer une révolution, ils commencèrent à « lâcher » le Shah, sous couvert de préoccupations « démocratiques ».

Manifestations massives

Comme c’est souvent le cas, la mobilisation de la jeunesse et des classes moyennes annonça l’imminence de la tempête sociale. A partir d’octobre 1977, des manifestations de masse secouent régulièrement le régime. Chaque fois, la SAVAK tire sur la foule, ce qui entraîne de nouvelles manifestations pour protester contre la répression. La SAVAK va jusqu’à mitrailler les manifestants à partir d’hélicoptères. Mais rien n’y fait. Face à l’héroïsme et à la détermination des masses, le ressort de la répression est brisé. Les milliers de morts et de blessés ne font qu’accroître l’isolement et l’impopularité du Shah.

A partir d’octobre 1978, la classe ouvrière entre à son tour de plain- pied dans le mouvement. Une grève générale se développe. Les travailleurs du secteur pétrolier jouent un rôle décisif en paralysant le cœur de l’économie iranienne. Ce sont eux qui portent le coup fatal au régime du Shah.

Une fois lancée, la vague révolutionnaire ne cesse de croître. Elle balaie tout sur son passage. Des Shoras – des « conseils » ouvriers – surgissent dans les entreprises. Les travailleurs expulsent les patrons et prennent le contrôle des usines. Les paysans occupent les terres. Les femmes manifestent pour exiger l’égalité des droits. Les étudiants prennent en main toutes les institutions du système éducatif. Les nationalités opprimées – Kurdes, Arabes, Azéris – secouent leur joug et réclament l’autonomie. Inévitablement, dans cette fournaise révolutionnaire, l’armée se disloque. Les soldats de rang refusent de réprimer le mouvement et commencent même à purger l’armée de ses officiers les plus notoirement réactionnaires.

Le clergé chiite

Après la fuite du Shah, le 16 janvier 1979, les conditions d’une conquête du pouvoir par la classe ouvrière se développent. L’appareil d’Etat, aux abois, se fissure de toutes parts. La SAVAK se volatilise, ses membres craignant les représailles. Le véritable pouvoir est dans la rue, dans les millions de jeunes et de travailleurs qui défilent régulièrement à Téhéran et dans les autres grandes villes du pays. Mais il leur manque un élément décisif : une direction marxiste, c’est-à-dire un parti armé d’un programme révolutionnaire et déterminé à s’appuyer sur la mobilisation des masses pour renverser le système capitaliste.

Toutes les grandes organisations de gauche, en Iran, succombent à la démagogie anti-monarchiste de l’Ayatollah Khomeini. A la recherche d’une « aile progressiste de la bourgeoisie », les dirigeants du plus puissant parti de gauche, le Parti communiste (Tudeh), voient en Khomeini un allié dans la lutte contre le Shah. Or il n’y a pas, en Iran, de bourgeoisie « progressiste » – à l’époque comme aujourd’hui. Khomeini et le clergé chiite sont d’implacables réactionnaires.

L’Ayatollah finit par gagner le soutien des impérialistes, qui l’appuient dans ses manœuvres pour se placer à la tête de la vague révolutionnaire, afin d’en limiter la portée – et, ainsi, protéger l’ordre établi.

Le clergé chiite (Mollahs), qui avait été dépossédé de ses terres par la « réforme agraire » de 1963, était depuis en conflit avec le régime du Shah. Dès lors, en l’absence d’une expression politique indépendante de la classe ouvrière, l’opposition du clergé avait réussi à trouver un écho parmi les masses, y compris chez une section significative de la classe ouvrière. Telle était la situation à la veille de la révolution de 1979. Or, au lieu de saper l’assise des Ayatollahs par une politique et un programme de classe indépendants, les dirigeants du Tudeh renforcèrent l’autorité du clergé islamique aux yeux des masses, pendant la révolution. Khomeini n’avait donc aucune force significative, sur sa gauche, pour lui contester la direction du mouvement.

Lorsqu’il prend formellement le pouvoir, le 11 février 1979, Khomeini ne peut pas immédiatement écraser le mouvement révolutionnaire. Plusieurs années lui seront nécessaires pour venir à bout des forces monumentales que la révolution a réveillées. Au début, les travailleurs ont toujours leurs organisations – les Shoras, les comités de quartier, etc. – et cherchent à consolider et étendre ce qu’ils ont conquis. Khomeini doit procéder avec précaution, en éliminant peu à peu tous les organes de démocratie ouvrière grâce à son réseau serré d’institutions répressives, qui sont mises en place sous couvert de « défendre la révolution ». Dans les quartiers, les entreprises, partout, les « gardiens de la révolution » étouffent toute opposition et toute vie démocratique. Pour faire diversion, Khomeini adopte une posture anti-impérialiste. D’où l’épisode de l’assaut contre l’ambassade des Etats-Unis, en novembre 1979.

En 1983, la contre-révolution a achevé son œuvre. Les conquêtes de la révolution sont liquidées : la réduction du temps de travail, le contrôle ouvrier de la production, les augmentations de salaires, la liberté d’expression, les droits des femmes, le droit de faire grève et de manifester – rien ne résiste. Le système capitaliste est sauf. Et la répression est féroce. Le Tudeh est interdit, ses militants emprisonnés, forcés à l’exil ou exécutés. Entre 1981 et 1983, il y a 50 fois plus de militants de gauche exécutés qu’en 30 ans de dictature du Shah.

Trente ans plus tard

Aujourd’hui, trente ans après les événements grandioses de 1979, l’Iran se dirige vers une nouvelle explosion révolutionnaire. Le régime des Mollahs est largement discrédité. Ces dernières années, on a assisté à toute une série de mouvements de protestations des étudiants, ainsi qu’à plusieurs vagues de grève. Les masses commencent à avoir moins peur du régime. L’économie est en crise, et la chute du prix du pétrole aggrave considérablement la situation. Le régime a moins de marge de manœuvre qu’auparavant.

Lors de la prochaine révolution iranienne, les Ayatollahs ne pourront pas tromper le peuple comme ils l’ont fait en 1979. Si la jeunesse et la classe ouvrière iraniennes veulent en finir avec le capitalisme, elles devront se tourner vers les idées et le programme du marxisme. Avec sa puissante classe ouvrière, l’Iran est l’un des pays clés de la révolution socialiste, au Moyen-Orient.

 

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