Depuis le début de la crise, la situation en Europe est marquée par la forte empreinte des politiques des institutions européennes et internationales (Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, le Fonds Monétaire International). L’attitude à adopter face à ces institutions suscite un débat vif au sein de la gauche. A la veille des élections européennes ces discussions vont s’intensifier. Voici notre point de vue.
L'Union Européenne ce n'est pas l'Europe
Certains sont arrivés à la conclusion qu'on ne peut pas réformer l'UE, car elle est faite par et pour les capitalistes. En gros, nous partageons cette vision.
L’UE est antisociale. Mais dire cela, ne nous avance pas. La sortie de l'Union Européenne est-elle la solution pour les peuples qui souffrent l'austérité ? Mais l'UE n’existe pas en dehors du système économique existant, c’est-à-dire en dehors de l’économie mondiale et en dehors du système capitaliste. L'UE n'est pas une puissance institutionnelle qui existerait au-dessus et en dehors les états nations capitalistes qui la composent. L’UE est un ensemble d’accords entre plusieurs puissances impérialistes rivales, qui déterminent ensemble la politique de l’Union européenne suivant leurs propres intérêts, au détriment des travailleurs de tous les pays concernés.
La politique de l’Union européenne est taillée sur mesure des intérêts des groupes capitalistes les plus puissants – que ce soit des secteurs financier, industriel ou de la distribution. L’introduction de la monnaie unique visait à éliminer les risques que représentaient les fluctuations monétaires, du point de vue des grands investisseurs internationaux. Au niveau des Etats membres, la politique de l’UE répond avant tout aux intérêts des classes dirigeantes des pays impérialistes les plus importants, à savoir l’Allemagne, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Ni la Grèce, ni la Hongrie ou le Portugal ne peuvent résister à la volonté des grandes puissances. Et quand ces dernières ne sont pas d’accord entre elles, c’est la volonté de la plus grande – l’Allemagne – qui prévaut.
Quelques exemples pour illustrer ce propos. Durant l’été 2013, une crise institutionnelle déstabilisait le gouvernement portugais. Sous la pression des grandes puissances européennes, le gouvernement a été forcé d'accepter un accord entre les deux partis bourgeois. Pour la stabilité de l'Euro, il ne fallait pas laisser tomber le gouvernement. Certains diront que si le Portugal n'avait pas fait partie de l’UE cette pression n'aurait pas existé. C'est une vision idéaliste du monde. Quand un pays pose un danger pour les intérêts économiques d'un autre état plus puissant, le dernier intervient dans les affaires du premier. Si le gouvernement portugais a survécu à cette crise, c’est aussi grâce au refus des syndicats à appeler à la grève générale jusqu’à la chute du gouvernement. Dans ce contexte, les pressions allemandes, de la BCE, etc. ont eu l'effet désiré.
Il est donc nécessaire d’avoir une vision concrète et non idéaliste sur la nature de l'UE et de ses états membres.
Qu’est-ce que l’UE ?
L’Union européenne, ce n’est pas la « coopération » libre entre nations, mais le règne de la loi du plus fort. Quant à l’idée que la Commission européenne impose aux « nations » des politiques et des mesures dont elles ne veulent pas - comme certains pensent - elle est tout simplement ridicule. Si l'on détricote les garanties sociales à l'échelle européenne, ce n'est pas parce qu’on accepte les impositions du gouvernement britannique, comme certains dans la Confédération Européenne de Syndicats prétendent, mais parce que ce tricotage a lieu depuis trois décennies un peu partout en Europe.
La construction européenne répond aux aspirations des différentes bourgeoisies européennes à un marché commun. Elle est aussi le résultat de la défaite politique de la gauche après les années 70.
La politique de la Commission européenne est dictée par les capitalistes européens, et surtout par les plus puissants d’entre eux. Que veut dire dans ce contexte 'Rompre avec l'UE' ? Un retour à la souveraineté nationale ? Pourquoi est-ce qu'une Belgique « souveraine » serait-elle plus progressiste ? L’idée qui consiste à penser que quitter l’UE « libèrerait » la Belgique ou tout autre pays des décisions réactionnaires des instances européennes est un leurre. Ces décisions ne sont que la traduction, dans la législation européenne, des intérêts des capitalistes « nationaux ».
Les pays qui ne sont pas sous la coupe de ces traités n’en sont pas moins affectés par les conséquences sociales du système capitaliste, comme la Norvège nous montre. Ce pays, hors de l’Union Européenne, s’est doté d’un gouvernement de la social-démocratie et de la « gauche radicale », avec le soutien des syndicats. Ce gouvernement a mené une politique plus légèrement à gauche, mais sans remettre en question du capitalisme. Après cette expérience, la classe dominante réussit à mettre en selle un gouvernement avec ses représentants directs en coalition avec la droite plus extrême pour attaquer les conquêtes sociales. La question n’est donc pas de savoir si la “ nation belge ” ou autre est « souveraine » ou pas, mais de savoir quelle classe sociale est souveraine, au sein de la nation.
Le devenir de l’Europe est une question de classe. Une alternative 'souverainiste' qui ne remet pas en question le système capitaliste est une utopie réactionnaire. La question centrale qui est évitée et escamotée dans toute cette approche « anti-UE/souverainiste », c’est la question du pouvoir capitaliste, politique et économique. L’UE n’est qu’un dérivé, un outil de ce pouvoir. Essayer de présenter une solution aux problèmes des travailleurs sur base d’un autre capitalisme « non-UE » est un leurre. Il faut au contraire présenter aujourd’hui une alternative sur base d’une réorganisation socialiste et révolutionnaire de la société.
Les institutions européennes, les partis, les syndicats parlent pour l'instant beaucoup de l'Union bancaire. Même la revue prestigieuse de la City, 'The Economist', plaide pour que l'Union bancaire avance afin d’assurer la continuité de l'euro et par conséquent de l'UE. Pourtant l'Allemagne, grâce à son influence au Conseil Européen ( les 28 états membres) vient de fermer cette voie. Les eurodéputés et 'fédéralistes' de toute sorte essayent d'arriver à un accord, mais le rapport de forces actuel dans l'UE, fera échouer très probablement l’union bancaire à court terme. La porte ouverte est alors ouverte pour plus d'instabilité financière. Cela montre bien les vrais modes de fonctionnement de l’UE: des deals entre états, des accords entre intérêts économiques visant à trouver des arrangements acceptables pour 'tout le monde'. Concrètement, cela veut dire que l'union bancaire devrait voir le jour en 2026 !
l'UE et la crise capitaliste
Certains pensent que la sortie de l'UE, enlèverait une arme incroyablement puissante aux capitalistes. Une fois hors de l’UE, une autre politique, même une politique vraiment socialiste serait possible, conclut ce raisonnement. Mais en dehors de l’Europe il y aussi le capitalisme… Quitter l'UE sans que la classe ouvrière prenne le pouvoir est une aussi mauvaise solution que de ne pas sortir de l'UE.
Nous avons ont été contre le traité de Maastricht, contre celui de Lisbonne et contre tous les traités capitalistes. Le problème, ce ne sont pas tellement les traités, mais le capitalisme même.
La même logique du capitalisme en crise est à l’œuvre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE. L’essentiel de travail de propagande et de conscientisation du mouvement ouvrier doit être dirigé vers la « sortie du capitalisme » et non vers une « sortie de l’UE ».
A l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, il n’y a pas de solution pour les travailleurs, à part l’austérité et le recul social et démocratique. Oui, il faut « rompre avec l’UE’ mais pas pour soutenir une Belgique « souveraine » , ou une France « souveraine », qui ne peut être que capitaliste et la souveraineté celle des capitalistes. La rupture avec l’UE sur une base capitaliste ne fera que plonger la Belgique dans une plus grande crise économique et ne résoudra pas les problèmes des travailleurs. Que ferait une Belgique dans ces conditions ? Réintroduire le franc belge ? Honnêtement, pourquoi une Belgique en dehors de l’UE serait-elle moins capitaliste ?
L’économie belge a une balance commerciale déficitaire et une grande dette publique ce qui entrainerait une dévaluation de la nouvelle monnaie. Celle-ci sera répercutée négativement sur le pouvoir d’achat des travailleurs qui y perdront. Pour « survivre » face à ces principaux concurrents, la Belgique devra vendre meilleur marché donc augmenter la pression vers le bas des salaires et des conditions de travail. On s’imagine facilement la situation sociale dans une Belgique capitaliste « libérée » de l’UE.
Un programme de lutte européen
On ne peut pas nier qu’aujourd’hui des millions de jeunes, chômeurs et travailleurs pensent à l'échelle européenne, ce qui est une chose très positive. Il ne faut pas essayer de revenir en arrière et cantonner la lutte au niveau national. Il faut envisager un plan de lutte à l'échelle continentale : contre l'Union Bancaire capitaliste, mais pour la nationalisation des banques dans le premier état où cela est possible, sous le contrôle démocratique des travailleurs, des usagers et des syndicats. Un salaire minimum européen pour vraiment lutter contre le dumping social et aussi pour une sécurité sociale européenne pour arrêter d’opposer les travailleurs d’un pays contre un autre. Un tel programme pourra réveiller l'espoir des millions des personnes qui luttent contre l'austérité et donner un but clair à ces mobilisations.