Emna, est une jeune révolutionnaire tunisienne de 19 ans et étudiante en journalisme. Nous l’avons rencontré lors du Forum Social Mondial à Tunis. Active au sein du syndicat étudiant UGET, elle est aussi militante des Patriotes Démocrates (le parti de Chokri Belaid, assassiné par les salafistes en février 2013) et membre d’Amnesty International. Dans ce court entretien elle nous brosse le tableau politique à l’université et les enjeux principaux de la révolution.
Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui a changé en Tunisie depuis ce fameux jour du 14 janvier 2011, le jour où Ben Ali, le président dictateur est tombé.
Beaucoup de choses ont changé, bien sûr. La question est de savoir si les choses ont changé en bien ou en mal. Ce qui est bien, c’est que maintenant on a une liberté d’expression, il y a même un abus de liberté d’expression. Tout le monde peut s’exprimer à sa manière comme il veut. Mais les mauvais changements depuis la révolution dépassent les bons changements. Le taux de chômage a augmenté, il y a beaucoup moins de sécurité pour le peuple qu’avant.
Comment l’université a changé depuis la révolution ?
L’université est dominée par la bataille entre les étudiants progressistes et révolutionnaires de l’UGET et les islamistes regroupés dans l’UGTE… UGTE est historiquement le syndicat étudiant de Bourguiba (premier Président de la Tunisie indépendante n.d.l.r.) puis il s’est mué en syndicat de Ben Ali et maintenant s’est le syndicat d’Ennahda , le parti Islamiste au pouvoir. Ils prétendent défendre les droits des étudiants, mais ce n’est pas le cas, ils n’ajoutent rien au débat. Les étudiants, même les non militants les considèrent comme un danger pour l’université tunisienne.
Pourquoi dis-tu qu’ils sont un danger ?
Parce que ce sont des islamistes, leur seul discours est religieux et n’ont pas de programme à part celui de la religion.
Et quelle est la situation politique à l’université.
Est-ce que les étudiants soutiennent la révolution ?
Certains étudiants prétendent qu’ils sont ni de gauche ni de droite, ils se disent neutre… Mais il y a les deux, ceux de gauche et ceux de droite. Lors des élections des représentants étudiants, le 13 mars, pour les conseils scientifiques le syndicat étudiant de gauche, l’UGET, a obtenu 71% dans toutes les universités du pays. Dans ma faculté la campagne électorale de l’UGET a couté exactement 16 Dinars (8 euros)… contrairement aux islamistes de l’UGTE qui avaient beaucoup d’argent, des stickers etc. que nous on n’avait pas.
Socialement, comment est la situation sur les campus ?
Les universités attirent beaucoup d’étudiants de l’intérieur du pays. Leur premier souci est le logement. Là il y a beaucoup de problèmes avec les ‘Foyers’, les restaurants universitaires et les transports. Ils doivent se débrouiller avec peu d’argent de poche, par exemple 30 Dinars par mois pour se nourrir et se déplacer. Et tout cela est très cher.
Tu peux nous dire ce qu’est le Front Populaire, quels sont ses objectifs ?
Au fait il existe un autre front, le front des partis bourgeois qui se sont regroupés pour les élections. Le Front Populaire ne se limite pas aux élections. Il regroupe 11 partis de gauche. Il a un programma plus clair que les autres, un programme plus marxiste, on peut dire.L’objectif du Front Populaire est de renverser le gouvernement actuel. Ce qui le préoccupe le plus c’est le peuple.
Pourquoi selon toi, Chokri Belaid a été assassiné ?
Chokri contrairement aux autres hommes politiques avait un discours… piquant. Il n’avait pas peur de nommer les personnes corrompues ou qui faisaient du mal au peuple. Il s’en prenait par exemple aux dirigeants d’Ennahda, le parti islamiste. Il avait des preuves sur leurs malversations et cela les dérangeait. Comme tout le monde le sait, le bras armé d’Ennahda se sont les salafistes, regroupés dans la Ligue pour la Protection de la Révolution. C’est eux qui l’ont assassiné.
Suite à son assassinat dans plusieurs régions du pays le peuple s’est soulevé. Après on s’est posé la question : mais qui sera le suivant ? Des journalistes ont pris peur. Mais en fin de compte pas grand-chose n’a changé. Les salafistes sont toujours présent partout et bénéficient du soutien de l’état.
Selon toi quelles sont les problèmes qu’une vraie révolution en Tunisie doit résoudre ?
Le premier problème à résoudre et le plus clair et celui du chômage. Car ceux qui ont faim ne peuvent pas avancer, comme le dit un proverbe arabe. Puis il y a la question de l’infrastructure et de l’économie en général.
Crois-tu qu’il est possible de résoudre ces problèmes à l’intérieur du capitalisme ?
Non, c’est évident que ce n’est pas possible.