Cet article a été écrit le 26 juin.

Le 13 juin, une grève a été lancée en Equateur par la Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (CONAIE). Celle-ci réclame notamment le blocage des prix du carburant, des biens de première nécessité, et la fin des politiques de privatisations. Ces demandes sont en contradiction directe avec les « recommandations » du Fonds Monétaire International, comme avec la politique du gouvernement de Guillermo Lasso.

Le Gouvernement Lasso

Lasso a été élu président il y a à peine plus d’un an, mais la situation politique du pays a déjà atteint un point de rupture. Dans un premier temps, Lasso s’est appuyé sur une majorité parlementaire de bric et de broc, grâce à une alliance avec le parti social-chrétien (droite) et à des accords avec les partisans de l’ancien président Rafael Correa (centre-gauche). Il a récemment renversé cet équilibre et tenté de former une alliance avec les centristes du Parti de la gauche démocratique et avec le parti indigène Pachakutik, qui est en quelque sorte l’aile parlementaire de la CONAIECes deux organisations ont été soumises à de fortes tensions internes après que leurs directions aient accepté cette proposition de Lasso. Malgré ces manœuvres parlementaires confuses, le gouvernement n’a pu faire passer qu’un seul projet de loi et le parlement est resté largement paralysé.

Dévasté par la pandémie et la crise économique, l’Equateur connaît un chômage très élevé, alors que Lasso avait promis que ses réformes libérales allaient multiplier les créations d’emplois. Malgré l’augmentation du salaire minimum durant la pandémie, la majorité des citoyens sont toujours en « situation d’insécurité économique ». De même, alors que la sécurité avait été un des axes principaux de la campagne électorale de Lasso, son bilan sur ce point n’est pas brillant : les chiffres de la criminalité sont toujours aussi effrayants, et le pays a été le théâtre de mutineries de prisonniers d’une violence sans précédent. Plusieurs centaines de prisonniers ont été massacrés par la police et les gardiens de prison depuis décembre 2020.

La seule réaction du président Lasso face à tous ces échecs fut d’en rejeter la responsabilité sur ses opposants politiques, mais aussi sur ses alliés ou anciens alliés, notamment le parti social-chrétien. En dehors de l’Assemblée nationale, le comportement de Lasso est identique : il accuse les dirigeants syndicaux et associatifs d’être des « conspirateurs » et les menace d’emprisonnement, tout en affirmant pourtant être partisan du « dialogue » !

Une mobilisation de masse

Le mouvement de grève lancé par la CONAIE s’articule autour d’une série de revendications économiques et politiques, parmi lesquelles figurent la réduction du prix du carburant, l’annulation des dettes des paysans auprès des banques publiques, le respect des libertés collectives, la fin des privatisations ou encore le contrôle des prix des biens de première nécessité.

Les cinq organisations indigènes à l’origine du mouvement ont voulu que celui-ci monte progressivement en puissance. Il a donc d’abord commencé en province, sous une forme très limitée, avant de s’étendre ces dernières semaines à l’ensemble du pays. Comme l’explique le président de la CONAIE, Leonidas Iza : « Après un an de dialogue durant lequel nous n’avons pas été écoutés, nous avons appelé à la mobilisation dans la rue non pas seulement des organisations, mais aussi des simples citoyens ».

L’appel à la grève générale a eu un grand écho parmi les indigènes, la jeunesse et les travailleurs, du fait des nombreuses attaques qu’ils ont subies ces dernières années. Dès son déclenchement, la grève a paralysé de larges parties du pays : de la côte jusqu’à l’Amazonie, en passant par les montagnes de la Cordillère. Dans plusieurs villes, notamment la capitale Quito, les étudiants ont aussi rejoint le mouvement en masse.

En réaction, le ministre de l’Intérieur, Patricio Carrillo, a lancé une campagne de calomnies pour réduire le mouvement à des « routes barrées, des puits de pétrole bloqués, des kidnappings de militaires et policiers, ainsi que des pillages ». De son côté, le président Lasso a traité les manifestants de « hooligans » qui voudraient provoquer le chaos. Ces mensonges avaient pour but de justifier la répression que le gouvernement a déclenchée contre la mobilisation.

Répression

Tôt dans la matinée du 14 juin, le lendemain de cette première journée de grève, la police équatorienne a annoncé sur Twitter avoir arrêté Leonidas Iza, le président de la CONAIE, car elle le soupçonnait d’avoir « commis des crimes », sans plus de précisions... L’avocat de Iza, Lenin Sarzosa, a affirmé que l’arrestation de son client était parfaitement illégale, car elle n’a été demandée par aucun juge, et n’a fait l’objet d’aucun rapport formel de la part de la police.

Loin d’affaiblir le mouvement, cette arrestation l’a au contraire poussé en avant. La CONAIE a immédiatement déclaré qu’elle « appelait les membres de notre organisation à radicaliser leurs méthodes, pour la liberté de notre dirigeant et la dignité de notre lutte ». Alors que l’on était toujours sans nouvelles d’Iza, des indigènes membres de l’organisation Jatarishum ont même fait prisonniers cinq policiers et les ont emmenés dans leur village !

Léonidas Iza a finalement été libéré sous caution le 15 juin, mais il reste sous le coup d’une menace d’arrestation immédiate s’il venait à nouveau à « enfreindre la loi ». Parallèlement, Lasso a lâché la bride aux forces de répression : six manifestants ont d’ores et déjà été tués et des centaines d’autres blessés. Le gouvernement espérait qu’en réprimant les manifestations et en faisant pression sur la direction de la CONAIE, il pourrait reprendre le contrôle de la situation.

Les choses ne sont pas si simples. Le déclenchement d’un nouveau soulèvement populaire en Equateur n’est pas le fruit de la seule volonté des dirigeants de la CONAIE, quand bien même celle-ci a joué un rôle important dans le mouvement. Ces manifestations sont une réponse à la dégradation continue des conditions de vie des masses. Elles expriment un rejet de la politique capitaliste du gouvernement Lasso et du FMI. Dans ces conditions, le gouvernement joue avec le feu, car la répression peut encore radicaliser davantage le mouvement, alors que celui-ci a déjà pris un caractère clairement insurrectionnel dans certaines régions.

Le 22 juin, dixième jour de la grève, des colonnes de manifestants venus de province ont atteint la capitale, après avoir défié l’état d’urgence instauré par Lasso et balayé les barrages de police qui se trouvaient sur leur chemin. A Ambato, capitale de la province de Tungurahua au sud de Quito, les manifestants ont repoussé la police et pris le contrôle des bâtiments gouvernementaux. Ils ont renommé le gouvernorat « maison du peuple ».

Plus le mouvement avance, plus la question du pouvoir semble se poser avec clarté. Cette situation a plongé le gouvernement et la classe dirigeante dans une profonde panique. Les partis d’opposition, bourgeois comme réformistes, sont terrifiés face à ce mouvement qui pourrait tout à fait les balayer en même temps que Lasso. Ils se sont donc lancés dans une tentative pour détourner le mouvement et le canaliser vers la voie plus sûre (pour eux) d’une destitution de Lasso par le parlement, sans succès pour l’instant. De son côté, Lasso a tenté de faire reculer le mouvement en faisant des concessions symboliques. Le 27 juin, il a ainsi annoncé une baisse du prix du carburant. Il n’est pas du tout certain que ces mesures réussissent à faire revenir la situation à la normale.

Perspectives pour le mouvement

La situation est aujourd’hui particulièrement favorable au mouvement : le gouvernement est placé sur la défensive et des divisions apparaissent au sein de la classe dirigeante. Pour autant, la victoire de la mobilisation n’est pas acquise. En 2019, un précédent mouvement contre l’austérité avait placé le gouvernement de Lenin Moreno le dos au mur. Mais ses dirigeants avaient accepté un accord de sortie de crise, qui avait permis à Moreno et la classe dirigeante de reprendre le contrôle de la situation. La CONAIE avait même ensuite conclu un « pacte » avec le gouvernement de Moreno, sans que celui ne tienne aucun de ses engagements. En 2021, lors des élections, des dirigeants de la CONAIE (parmi lesquels Leonidas Iza) ont commis une autre erreur en appelant à l’abstention plutôt que d’apporter un soutien critique au candidat du parti de centre-gauche de Correa. Cela avait facilité l’arrivée au pouvoir de Guillermo Lasso sur un programme encore plus réactionnaire que celui de Moreno.

Pour que le mouvement actuel soit victorieux, il est nécessaire de tirer les leçons de ces erreurs. La CONAIE appelle à un mouvement reconductible illimité. C’est tout à fait correct, mais cela ne suffira pas. Par ailleurs, les paysans indigènes jouent un rôle crucial dans la mobilisation, mais pour gagner, ils ont besoin de l’appui des travailleurs et de la jeunesse des centres urbains. La mobilisation doit donc se structurer de la façon la plus large et la plus démocratique possible, pour pouvoir intégrer dans la lutte tous les secteurs du salariat et de la paysannerie. En 2019, les « assemblées du peuple » ont été un pas dans cette direction. Il est nécessaire de les récréer partout où c’est possible, et de les structurer au niveau national pour doter le mouvement d’une direction démocratique et centralisée, qui n’hésitera pas à mener la mobilisation jusqu’à la victoire.

Face à la répression policière, il est nécessaire de défendre le mouvement. En 2019, une « Garde indigène » s’était constituée. Il faut la prendre pour modèle en l’élargissant pour constituer une véritable autodéfense ouvrière et paysanne. Des appels à la désobéissance doivent aussi être adressés aux soldats et aux policiers, pour tenter de diviser, voire de paralyser les forces de répression.

Enfin, le mouvement doit se doter d’un programme cohérent. Dans le contexte actuel de crise mondiale du capitalisme, encore plus intense dans un pays dominé par l’impérialisme comme l’est l’Equateur, il est exclu que le gouvernement fasse des concessions importantes et durables. Par contre, si le mouvement se développe et se renforce, il peut prendre un caractère révolutionnaire et faire tomber le gouvernement Lasso. La mobilisation doit se fixer comme objectif immédiat de renverser ce gouvernement au service des capitalistes et des impérialistes, pour placer les travailleurs au pouvoir et ainsi pouvoir mettre en place de véritables mesures de lutte contre la pauvreté et le chômage.

Depuis le 13 juin, l’Equateur est balayé par une mobilisation révolutionnaire. Des dizaines de milliers de personnes se mobilisent à travers tout le pays, de la région côtière à l’Amazonie en passant par les Andes, à l’appel de la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Equateur (CONAIE). Alors que des grèves ont éclaté dans les transports ou encore dans l’industrie pétrolière, des masses d’Equatoriens, indigènes ou non, ont répondu à l’appel de la CONAIE et ont marché sur la capitale Quito.

Le gouvernement du millionnaire Guillermo Lasso a refusé toute discussion sur les revendications de la CONAIE. Celle-ci demande notamment que les prix soient régulés ou encore que les dettes privées soient soumises à un moratoire. Alors que l’Equateur a été durement frappé par la crise économique et par la pandémie, Lasso applique au contraire fidèlement les recommandations du FMI et multiplie les mesures d’austérité et les privatisations. En septembre dernier, il a par exemple annoncé une « Loi de création d’opportunités » qui prévoit la réduction des impôts sur la succession, l’« assouplissement » du code du travail et des zones franches pour les investissements étrangers.

En 2019, une mobilisation de masse avait abouti au retrait d’un précédent décret d’austérité que le gouvernement de l’époque voulait imposer. Malheureusement, la mobilisation s’était arrêtée là. Un nouveau gouvernement de droite est ensuite arrivé au pouvoir et tente d’appliquer la même politique que son prédécesseur, la seule qui convienne aux intérêts de la bourgeoisie et des impérialistes.

Une mobilisation fulgurante

Dès le 14 juin, les premiers groupes d’indigènes sont arrivés à Quito, où ils ont été confrontés à une répression féroce. Le principal dirigeant de la CONAIE, Leonidas Iza a été arrêté dès son arrivée dans la capitale, en même temps que de nombreux autres militants. Lasso a affirmé vouloir interpeller tous les « auteurs intellectuels et matériels d’actes violents », une définition si large qu’elle légitime toute répression. Et ce d’autant plus que le gouvernement a assimilé les manifestations à du « terrorisme ».

L’armée a été mobilisée et déployée dans le centre historique de la capitale. Des locaux associatifs et militants, mais aussi des lieux publics ont été occupés par les soldats pour empêcher qu’ils ne servent de lieux de rassemblement pour le mouvement. C’est le cas par exemple du parc Arbolito ou de la Maison de la culture. Le 17 juin, le gouvernement a proclamé l’état d’urgence et a instauré un couvre-feu ainsi que la censure des médias.

Le mouvement n’a malgré tout pas reculé. Puisque le centre-ville était militarisé, les étudiants ont occupé l’université pour y accueillir les rassemblements. Des blocages ont été mis en place sur les routes pour empêcher l’arrivée de renforts de l’armée et certaines vidéos montrent même la police reculer face à des manifestants dans les rues de Quito. Le 15 juin, la mobilisation a finalement réussi à obtenir la libération de Leonidas Iza. Celui-ci a immédiatement appelé à continuer la lutte.

Les dirigeants de la CONAIE ont par ailleurs affirmé qu’ils refusaient toute discussion avec le gouvernement tant que la répression continuerait. Loin de se limiter aux seuls indigènes (qui représentent tout de même entre 25 et 40 % de la population du pays), le mouvement a été rejoint par les étudiants et les syndicats de travailleurs. Un appel à la grève générale a été lancé pour le mercredi 22 juin. Ce jour-là, les manifestants ont tenté d’occuper le parlement pour contraindre le gouvernement à reculer. La répression policière a été violente et un manifestant a été tué. C’est le quatrième depuis le début du mouvement, sans compter des centaines de blessés.

Quelles perspectives ?

La mobilisation en Equateur se trouve à la croisée des chemins : d’un côté, le gouvernement de Lasso, qui défend les intérêts de la bourgeoisie et ne semble pas prêt à reculer ; de l’autre, le mouvement de masse, qui commence à s’organiser. Une « Assemblée du peuple » s’est tenue à Quito ce jeudi et a pris la décision de continuer la mobilisation jusqu’à la victoire. C’est un pas dans la bonne direction. Des assemblées de ce type doivent s’organiser dans tout le pays, pour structurer le mouvement à l’échelle nationale et représenter fidèlement la volonté des masses et des travailleurs. Pour faire face à la répression, il faut aussi renouer avec l’expérience du mouvement de 2019. Une « garde indigène » avait alors été organisée pour protéger les manifestants. Il faut la remettre sur pied pour pouvoir repousser les attaques de l’armée et de la police.

Enfin, l’expérience accumulée depuis le mouvement de 2019 montre qu’aucun gouvernement bourgeois ne mettra en place une autre politique que celle de Lasso. Dans la situation actuelle de crise économique mondiale, le capitalisme ne peut plus offrir de concessions durables aux travailleurs, surtout dans un pays soumis à l’impérialisme comme l’Equateur. Si le mouvement actuel se contente d’obtenir des promesses du gouvernement, celui-ci tentera de gagner du temps pour revenir à la charge une fois la mobilisation retombée. Pour pouvoir véritablement satisfaire leurs revendications et obtenir une vie décente, les travailleurs et les indigènes d’Equateur doivent se préparer à prendre le pouvoir entre leurs mains.

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