Paolo Brini est membre de la direction nationale du syndicat des ouvriers métallurgistes en Italie (la FIOM). Il était l’invité du meeting européen ‘Luttons pour gagner’ à Bruxelles le 9 mars. Dans cet entretien Paolo livre à Sofiane Azzaydi son analyse de la situation syndicale et politique en Italie.

 Quelle analyse faites-vous des politiques d’austérité et est-ce que le résultat des élections va changer quelque chose ?

Les politiques d’austérité ont induit la paupérisation de la classe des travailleurs, la dégradation de l'économie à tous les niveaux : augmentation du chômage, baisse du PIB, contraction de l'économie, précarisation des travailleurs, … Tout ceci, nous entraine dans une dynamique identique à celle de l'Espagne et de la Grèce. Ces politiques d'austérité n'ont fait qu'aggraver la crise.

Quant aux élections, la victoire du ‘comédien’, ne traduit pas une adhésion à son parti. En effet, un vote pour le ‘Mouvement 5 Etoiles’ de Beppe Grillo  signifie un rejet des partis traditionnels qui ont mené les politiques d'austérité ou qui les ont soutenus. Malgré que Beppe Grillo ait obtenu beaucoup de votes ouvriers, son parti demeure un parti petit bourgeois qui porte en lui d'énormes contradictions. Par exemple, il tient des propos réformistes tout en manifestant des marques de sympathie vis-à-vis du fascisme. Le parti du ‘comédien’ ne représente pas une vraie alternative aux politiques d'austérité parce qu'il n'a pas de vision de de défense des intérêts des travailleurs ni de politique de rupture avec le capitalisme et la technocratie européenne. Son fonds de commerce, c'est la démagogie.

Du côté de la gauche le Parti Communiste est anéanti à cause d'un problème de leadership, des dirigeants. Historiquement, l'Italie a eu l'un des plus grands Parti Communiste mais après la chute de l'URSS, il y a eu une scission au sein du Parti Communiste où un groupe a quitté le parti pour fonder  le Parti Démocratique qui se caractérise par la rupture du lien avec la classe ouvrière. Ceux qui sont resté ont continué à s’appeler communiste. Lors du dernier gouvernement de centre gauche (2006-2008) le Parti Communiste (maintenant appelé Parti de la Refondation Communiste ou PRC) a appuyé le gouvernement qui a appliqué une politique en faveur du Capital et donc contre les travailleurs. Cette erreur a donné le coup de grâce au PRC car ça lui a fait perdre toute crédibilité vis-à-vis de la classe ouvrière. Le vide laissé par le PRC a été rempli par le parti de Beppe Grillo.

Dans la lutte syndicale, quelle alternative d'action peut exister en dehors de la grève et de la manifestation. En d'autres, est-ce qu'en Italie on a réfléchi l'action syndicale d'une manière innovante ?


Cette question est difficile à traiter en Italie car ça fait déjà quelques années qu'on n'a pas eu de grève ou manifestation.  Ceci peut aussi s'expliquer par un problème au niveau du groupe dirigeant syndical qui est lié au Parti Démocratique qui soutient la logique de l'unité nationale.  Les gouvernements d'unité nationale sont si faibles que même une petite manifestation ou une petite grève peut  briser le gouvernement. Le pouvoir des dirigeants syndicaux est plus important en Italie car le taux de syndicalisation est assez élevé. En effet, nous avons 12 millions de travailleurs syndiqués en Italie. Par exemple, en France où il y a un faible taux de syndicalisation, le contrôle des dirigeants vis-à-vis de la base est plus faible.

Ensuite, le problème qu'on aura dans tous les pays d'Europe, même quand la lutte était plus intense, c'est qu'on n'arrive pas à mettre en place une vraie riposte du mouvement ouvrier à la hauteur de la lutte contre  la bourgeoisie. La raison c'est l'absence d'alternative stratégique, politique et idéologique de l'Europe, tous les dirigeants syndicaux européens ne veulent pas briser les réglés du jeu établi par le Capital en Europe et si on ne veut pas briser les règles du jeu, on ne peut pas créer une riposte. Une alternative à l'actuelle ligne politique et syndicale est importante car on peut avoir une vraie riposte.

Les manifestations ne sont pas difficiles à mettre en place, la difficulté se porte plutôt au niveau de la crédibilité de l'action et de la peur des travailleurs qui ne veulent pas avoir de problème avec leur patron pour garder leur emploi.

Au niveau local on constate qu'en Italie on a plusieurs luttes isolées de petites entreprises et il n'y a rien qui est fait pour fédérer ces noyaux de résistance en mouvement plus important, au niveau national. En cela, les syndicats italiens ont abandonné une de leurs missions principales qui est celle d'organiser le prolétariat (ceci est un problème au niveau des dirigeants et non de la base). Les dirigeants syndicaux ont peur de donner une arme trop forte aux travailleurs au point qu'ils deviennent incontrôlables.

À la question que faire en dehors de l'action syndicale traditionnelle, il est important de travailler au niveau de la prise de conscience des ouvriers et leur montrer qu'il y a une alternative, c'est que  l'usine peut marcher sans le patron. Cette prise de conscience de la classe ouvrière est le défi de notre époque et passe tout d'abord par l'éducation militante et politique. Or les syndicats d'aujourd'hui ne veulent pas œuvrer dans ce sens.

Comment s'organise la concertation sociale en Italie ?


La situation en Italie est assez particulière car nous avons des syndicats qui veulent négocier et un patronat qui refuse les négociations. Ceci a produit un système de concertation sociale où le patron choisit son interlocuteur dans les négociations en fonction de la proximité qui existe entre lui et ce syndicat.  La CGIL et la FIOM n’ont pas la possibilité de s'opposer et donc acceptent les choses en l'état car la crise impose au patron de ne pas négocier. Contrairement à la Belgique, les syndicats italiens ne font qu'approuver les décisions patronales car il y a une très faible marge de manœuvre lors des négociations.

Ce manque de contexte social favorable a créé une frustration importante dans la classe ouvrière qui n'a pas encore trouve de canal pour s’exprimer en dehors du ‘Mouvement 5 Etoiles’.

Y-a-t-il des tensions entre la base militante et les dirigeants syndicaux ?


Le manque de confiance vis-à-vis des dirigeants syndicaux, se traduit par une prise de distance des travailleurs par rapport aux syndicats et ils se sont réfugiés dans l'inaction. C'est pour cela que tôt ou tard, il y aura une explosion sociale car les conditions du prolétariat ne font que se détériorer, et en même temps le prolétariat n'arrive pas à trouver un canal pour exprimer ce mécontentement et cette frustration.

Ces tensions peuvent être solutionnées par une plus forte démocratie interne aux syndicats. Or ce que nous avons maintenant c'est un gros appareil bureaucratique et très peu de contrôle de la base qui ne peut pas réaliser d'action consciente.

Quels sont les services qu'offrent les syndicats italiens à leurs affiliés ?


En Italie, les syndicats offrent beaucoup de services aux militants comme l'aide juridique. Ceci alimente un problème important du syndicalisme qui est celui de mettre beaucoup d'énergie pour assurer ces services au détriment de la vraie lutte syndicale et de l'organisation du prolétariat. C'est une dégénérescence du syndicalisme en service public.

Comment fédérer les luttes isolées pour mettre en place un plan d'action efficace en Italie puis en Europe ?

Au niveau national, il faut commencer par une réforme des syndicats en tant qu'organisme pour répondre de manière plus efficace aux exigences de la lutte syndicale. L'un des objectifs principaux, c'est fédérer la lutte syndicale car c'est comme ça que l'on peut mettre en place une cohérence d'action.

Puis, ce qui est important aussi, c'est de créer à côté de l'action syndicale un front d'action dans la sphère politique et dans la société en général qui viendra en complément de la lutte syndicale. Nous avons besoin d'un support politique pour canaliser nos revendications.

Enfin, l'organisation internationale des mouvements syndicaux doit se faire dans une internationale qui regroupera l'ensemble des syndicats. Sur ce point, la crise économique est un facteur favorable pour nous car cela a créé une uniformité de la condition du prolétariat avec des conditions matérielles qui deviennent de plus en plus difficiles. Nous devons profiter de ce climat favorable pour la lutte.

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