Comment construire un rapport de force pour passer à l'offensive.
La FGTB a fait une évaluation de sa stratégie d’action des trois dernières années. Un document à ce sujet était à l’ordre du jour du comité fédéral du mois de novembre de l’année passée. Il ne fait aucun doute que cette discussion se fait au sein de la CSC et aussi du syndicat libéral. La plupart des délégués syndicaux, voir même les militants et les affiliés de base ne sont malheureusement pas consultés. Le document d’évaluation d’une vingtaine de pages est diffusé en cercle fermé… C’est une grosse erreur naturellement. Il est impossible de faire un bon bilan sans la participation des premiers concernés, c’est-à-dire les travailleurs qui tous les jours sont sur le terrain. Dans ce bref article, nous faisons une analyse des luttes de la période écoulée et en tirons quelques enseignements.
Cela fait 5 ans que la crise de 2008 a frappé l’économie mondiale et 3 ans depuis la formation du gouvernement Di Rupo. Un constat s’impose : la crise n’est pas finie. Tant s'en faut. Les sursauts de croissance depuis 2008 ont été faibles et éphémères. L’euphorie des bourses ne s’est pas traduite dans une croissance solide de l’économie réelle. Le bref rebond de la croissance de l’économie réelle en 2010 et 2011 n’a pas signifié non plus une amélioration des conditions de vie et de travail. Au contraire. Les salaires ont été bloqués, l’épargne – le bas de laine de nombreuses familles - ne rapporte plus rien, le chômage est à un niveau record, les contrats précaires et d’intérim sont devenus une épidémie, les burnout se multiplient, les antidépresseurs se consomment en quantité de plus en plus grande, le nombre de minimexés explose et la pauvreté s’enracine profondément dans le tissu social des villes et de plus en plus aussi dans la campagne.
Les économistes les plus perspicaces (comme Paul Krugman ou le guru du Financial Times, Martin Wolf) prévoient une longue période de dépression (‘ a permanent slump’). Cette dépression peut durer jusqu’à deux décennies (1). Prenons un peu de temps pour réfléchir à ce pronostic : cela signifie 20 ans de dépression, 20 ans d’austérité et d’attaques incessantes contre nos droits et contre nos conditions de vie et de travail. Ce que nous venons de vivre les cinq dernières années devient ainsi la nouvelle norme. Le gouvernement Di Rupo a fait des économies pour 24 milliards d’euros en trois ans. Combien de milliards faudra-t-il encore pour satisfaire ‘les marchés’ ?
Le mouvement syndical ne peut donc pas espérer que la crise ‘passera bien’. Nous ne pouvons pas penser non plus de récupérer ce qu’on perd aujourd’hui lors d’une prochaine reprise économique. Ce qui est perdu est perdu. Une embellie économique ne signifie pas non plus que l’on va retrouver les conditions de travail d’avant crise. Cette réalité est difficilement admise dans le mouvement syndical. Nombreux sont ceux et celles, surtout au sommet de notre organisation, qui s’accrochent à l’illusion d’un retour à une nouvelle période de croissance. Paul Magnette, le président du PS, pousse l’optimisme délirant jusqu’à prétendre que nous sommes dans le début de l’après -crise : ‘il y a des signes objectifs qui disent qu’on pourrait être à la première année de l’après-crise’ a-t-il affirmé à Matin Première (2). Aussi longtemps que nous ne sommes pas disposés à regarder la réalité en face, c’est-à-dire, de constater que la crise va durer longtemps, nous continuerons à nous fourrer le doigt dans l’œil. Ce système est en crise, ce système est malade et il ne s’agit pas d’un rhume passager. C’est un véritable cancer qui ravage toute notre société. Ce système veut se rétablir à nos frais. Rêver d’un retour à un capitalisme plus au moins domestiqué sans crise et sans austérité est un leurre dangereux. C’est pour cela qu’il faut situer toute lutte syndicale, même le plus modeste des combats dans le cadre d’une lutte pour le changement profond de société, d’un mouvement pour remplacer le capitalisme par une société socialiste. Tout responsable syndical qui ne se situe pas dans cette démarche ne fera qu’accompagner le recul social, indépendamment de sa bonne volonté et de sa sincérité.
L’autre conclusion pratique qui découle de ce constat est qu’on n’obtient plus rien sans lutte, sans combat. Le fameux dialogue social dont se targue la Belgique est très mal en point, voire agonisant. Il sert essentiellement à imposer un carcan à l’action syndicale et à étouffer nos revendications. Plus rien d’important ne peut s’obtenir par la simple concertation. Ceux qui prétende le contraire s’accrochent à la concertation comme un noyé s’agrippe à une planche vermoulue en pleine tempête. Il n’est plus question pour les patrons de faire des concessions aux syndicats. Ce ne sont pas les bons mots ou les bons contre-arguments qui font reculer les patrons, mais la lutte bien pensée et bien préparée. Une lutte qui se donne comme objectif de changer les rapports de force et pas simplement pour se faire ‘entendre’. Des actions en dehors des sentiers battus , en dehors des règles convenues et acceptées, sont les seules qui ont encore une chance d’aboutir. Les actions des ouvriers et des employés du manutentionnaire Swissport et les sous-traitants de Ford Genk le démontrent . C’est le seul langage que comprennent les patrons.
La FGTB ne semble pas avoir une vision adéquate et une stratégie d’action claire. À vrai dire, le syndicat socialiste ressemble à un navire sans véritable capitaine, un bateau qui se laisse porter par des flots et des vents contraires. La vision qui domine est celle qui consiste à essayer d’obtenir des adaptations au système actuel. Ce système capitaliste est présenté comme le seul possible, la dernière frontière du progrès humain. Voilà une des explications principales de l’impasse actuelle du combat syndical. Car de cette acceptation du système découle une vision sur les actions, les manifestations et les grèves qui se donnent comme objectif d’aménager le recul social. Les actions (promenade longeant le Parc de Tervuren, le rituel de l’axe Nord-Midi, etc. )visent, non pas à créer un rapport de force pour arrêter une série de mesures, mais de se faire ‘entendre’, à ‘rétablir le dialogue social’, à ‘montrer qu’on est pas d’accord’ etc. Beaucoup mieux aurait été de construire un plan d’action débattu dans des AG sur les lieux de travail, pour arriver, comme l’a proposé en son temps la MWB, à une montée en puissance de grèves de 24 h, 48 h et de 72 h.
La passivité face à ce gouvernement, surtout parmi les dirigeants syndicaux, est aussi flagrante. Certes ni la FGTB, ni la CSC ne sont contentes de certaines politiques menées par ce gouvernement. Mais il est perçu comme étant le gouvernement du moindre mal. Tout autre gouvernement ne pourrait être que pire. Conclusion : des actions contre la politique du gouvernement sont certes acceptées, mais il ne faut surtout pas aller trop loin. Cette idée que le gouvernement Di Rupo est le gouvernement du moindre mal a perdu de l’attrait les dernières années pour des raisons évidentes. Du ‘moindre mal’ on glisse vers le ‘mal’ pour arriver au ‘pire’. L’appel de la FGTB de Charleroi soutenu par la CNE visant à la construction d’une formation à gauche du PS, reflète ce changement dans la conscience d’une partie des militants et des délégués. Cette opinion, bien que significative est encore loin d’être majoritaire dans la FGTB, aussi parmi les militants de base. L’influence réformiste du PS et du SP.a au sein de la FGTB n’est pas le seul résultat d’une mainmise bureaucratique sur une partie importante de l’appareil. Elle découle de la vision réformiste qui imprègne encore de nombreux responsables syndicaux à tous les niveaux.
Des luttes il y en a eu. En 2012, il y eut 20 % plus de grèves que l’année précédente. Pendant le premier semestre de 2012, il y eut même plus de grèves que durant toute l’année 2010. Et ce semestre a connu le plus grand nombre de journées de grèves (la grève générale du 30 janvier 2012 y est pour beaucoup) depuis 1991 (3). Mais elles ont eu peu de résultats à part le report du gel salarial, sujet trop chaud à la veille des élections. Quelques luttes comme celles chez les sous-traitants de Ford Genk et chez les manutentionnaires de Swissport sont des exceptions. La FGTB doit donc réfléchir comment elle peut passer, dans l’unité d’action, d’une lutte défensive à une lutte offensive autour d’un programme de revendications anticapitalistes visant à … gagner !