Suite de notre immersion dans le monde du travail, avec Simon ouvrier dans un groupe, présent dans le monde entier, spécialisé dans le transport et la logistique. Ici aussi, les conditions de travail sont éprouvantes et totalement aliénantes pour les travailleurs.

 

 ALR : Tu peux nous présenter ton entreprise ?

Simon: Je travaille dans le secteur de la logistique pharmaceutique. Nous stockons les médicaments de nos clients, c'est-à-dire les firmes pharmaceutiques, et nous les distribuons aux grossistes, pharmacies, cliniques et hôpitaux. Le département emploie 135 travailleurs plus une dizaine d'intérimaires. La moyenne d'âge est assez élevée, elle tourne autour des 45 ans.

J’y travaille depuis longtemps. A l'époque c'était une entreprise familiale qui a été rachetée, il y a une bonne dizaine d'années, par le groupe actuel. Au début, il n'y avait pas de délégation syndicale car nous étions moins de 50 travailleurs.

ALR : Constates-tu une différence entre les conditions de travail de l'époque et maintenant ?

Simon : Oh que oui ! Avec l'ancienne direction, nous étions aussi exploités mais nous avions un intérêt commun qui était un travail bien fait pour fidéliser les clients et en attirer d'autres. Le nouveau groupe c'est une toute autre histoire ! C'est faire du pognon vite, très vite, en augmentant les objectifs ! La qualité, ils n'en n'ont rien à faire... Dans mon service, ça va encore, mais les collègues qui effectuent les commandes pour les clients doivent sortir des rayons 95 boîtes par heure. Pour parcourir l'entrepôt d'un bout à l'autre, il te faut plus de 5min ! Si tu n'as pas fait tes 95 boîtes, un responsable t’appelle et te demande de te justifier. Et si tu contestes de trop, il te casse, au sens propre comme au figuré, en te donnant les caisses les plus lourdes à porter. Par conséquence, il t’est impossible d'atteindre les 95 ! On ne sait pas d'où sort ce nombre. Nous n'en n'avons jamais parlé et encore moins négocié ! Je suppose que l'année prochaine ce sera 100 ou 105 boîtes.

ALR : Décris-nous une journée type de travail pour les ouvriers

Simon : Elle commence à 8h pour terminer à 16h30 avec une demi-heure de pause à midi. Nous prestons 39h30 par semaine ce qui fait que nous avons 15 jours de récupération par an.

Les médicaments arrivent par camions. Ils sont déchargés et contrôlés. Ensuite les palettes sont stockées. Les travailleurs du service «commande» encodent les achats des hôpitaux, cliniques, grossistes et pharmacies. Les commandes sont préparées dans le magasin en « carton complet » ou en unité via une chaîne. Après il y a le contrôle, l'emballage et enfin l'expédition.

ALR : Qu'en est-il du travail des intérimaires ?

Simon : Ils sont engagés pour remplacer les malades de longue durée et aussi parce que nous avons, à chaque début de mois, un surcroît de travail dû au pic de commandes. Pendant toute une période, nous avons eu des intérimaires dont le contrat était renouvelé quotidiennement sur une durée de 4 à 5 ans ! Eux aussi sont sous pression ! La procédure d'accueil qui leur est destinée explique les tâches à réaliser, les mesures de sécurité, ... et on ajoute oralement l’ultime but à atteindre de 95 boîtes par heure. Ils ne retiennent que ça ! Ils foncent comme des fous et prennent des risques inconsidérés pour arriver à cet objectif ! En septembre 2018, nous avons eu 2 accidents graves. L'un d’eux s’est soldé par une fracture de la cheville. Pour aller plus vite, le travailleur n'a pas fait attention en descendant de son transpalette électrique et l’engin à continuer son chemin lui brisant la cheville au passage. L'employeur nie que c'est à cause de la pression. Il dit que c'est un fâcheux concours de circonstances.

ALR : Que peux-tu nous dire au sujet des maladies longue durée ?

Simon : Il y a une recrudescence de burn-out depuis 2 ans, y compris au niveau des coordinateurs, des superviseurs (les « petits chefs »). L'employeur leur met une pression énorme ! Leur job ne consiste pas à donner des tâches et faire en sorte que le travail soit bien exécuté, non ! Ils passent leur temps à surveiller les travailleurs pour qu'ils aillent plus vite. Nous devons remplir des fiches, tous les quarts d'heure, des KPI¹, où nous inscrivons tout ce que nous avons effectué. Un autre moyen de surveillance c'est le scan. Si tu ne scannes pas pendant 10 min, ils te demandent pourquoi tu n'as pas scanné. Et peu importe ton explication, que tu as dû attendre le réapprovisionneur, par exemple, car le produit que tu voulais n'était plus en stock, tu n'as pas scanné un point c'est tout.

ALR : Comment vois-tu l'avenir de ton entreprise ?

Simon : L’avenir … ça craint … Le groupe délocalise de plus en plus. La comptabilité se retrouve en Inde, l'IT au Maroc et le service GRH a été centralisé à Malines. Maintenant quand nous voulons poser une question, déposer une plainte, demander un renseignement, etc, nous devons envoyer une demande par mail et, en retour, nous recevons un « ticket » d’attente. Le délai pour recevoir la réponse peut aller jusqu’à un mois, alors que les erreurs sur les fiches de salaire se multiplient et que les documents non délivrés aux mutuelles sont nombreux. Imaginez le stress et l’impact financier sur les travailleurs et leurs familles !

En plus, suite à la perte de 2 gros clients, l’entreprise prévoit un licenciement collectif. La phase 1 de la procédure Renault² vient d'être enclenchée. L'employeur veut licencier 30 travailleurs sur 135. La délégation syndicale a proposé le chômage économique en attendant de nouveaux clients qui devraient arriver selon la direction. Si nous obtenons gain de cause, il y aura zéro licenciement.

PS : Aux dernières nouvelles, l'employeur a accepté la proposition des syndicats, c'est-à-dire le chômage économique. Affaire à suivre ....

¹ Key Performance Indicator: indicateur qui doit permettre de mesurer le progrès réalisé ou à réaliser pour atteindre un objectif stratégique.

² La procédure Renault (1997) impose à l’entreprise qui prévoit ou annonce un licenciement collectif d’organiser le dialogue entre la direction de l’entreprise et les représentants des travailleurs. L’État belge l'a mise en place suite à la fermeture brutale de l'usine Renault à Vilvorde. Le but est de permettre aux organisations syndicales d’être complètement informées de la situation et de pouvoir proposer des solutions alternatives.

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