Il y a une semaine, en Italie, nous apprenions que les plateformes Uber Eats, Deliveroo, Glovo et JustEat avaient signé un « accord entre crapules » avec le syndicat bidon UGL (Unione Generale del Lavoro).
Après plusieurs manifestations rapidement organisées dans plusieurs villes par les coursiers et leurs véritables syndicats, l’accord a été annulé par le ministère du Travail.
Les précédents
En 2019, le ministère italien du Travail a pris des mesures pour remédier à l'anarchie dans laquelle travaillent les livreurs de repas. Bien que les coursiers aient dû continuer sous un statut d'indépendant, ils ont bénéficié de droits tels que des congés de maladie et l'accès à la sécurité sociale. En outre, les plateformes ont été obligées de s’engager à signer une convention collective de travail avec les coursiers et leurs syndicats dans un délai de 12 mois, faute de quoi le ministère prendrait lui-même des mesures supplémentaires.
Le contenu de l'accord
Les capitalistes de plateforme n'aimaient pas particulièrement l’obligation de devoir conclure une convention collective. Le pseudo-syndicat d'extrême droite UGL, très ami de Le Pen et d'autres personnalités du même acabit, s'est rapidement proposé comme bouée de sauvetage. Ce syndicat n'organise ni ne représente qui que ce soit, et certainement aucun coursier. Et pourtant, il a osé signer un accord fantôme.
Cet accord prévoyait un salaire horaire minimum de 10 euros brut (7 euros net) sur la base du temps effectivement travaillé (!) et il était aussi question de primes pour travail de nuit et intempéries, de fourniture d’équipements de sécurité ainsi que d’une assurance accident. Les plateformes promettaient également des systèmes de classement transparents, ne pénalisant pas les coursiers qui refuseraient des commandes.
D'un point de vue belge, cet accord pourrait presque sembler avoir une portée relativement importante, car le gouvernement belge laisse pour l’instant libre cours aux plateformes Uber et Deliveroo. Avec le régime P2P, une nouvelle option a même été imaginée pour exempter les plateformes de ces garanties minimales. Et chaque fois que ce régime est attaqué, le politique vient à la rescousse des plates-formes. Ce n'est pas sans raison que le régime P2P est connu sous le nom de loi De Croo, du nom du ministre libéral et ami des plateformes, Alexander De Croo.
Mais en dépit de ces apparentes « avancées », l'accord italien ne peut être considéré comme autre chose qu'une attaque frontale contre les coursiers. Les dispositions de la convention restent bien inférieures aux normes du secteur : par exemple, le salaire minimum de 7 euros serait calculé sur la base des « heures effectivement travaillées ». Cela signifie que le temps d'attente souvent excessif dans les restaurants ou les moments où un coursier ne reçoit pas de commande ne seraient pas pris en compte. Et surtout, les coursiers resteraient indépendants. De cette manière, les plateformes sont exonérées de toutes cotisations sociales. C'est la « troisième voie » (entre le statut d’indépendant et celui de salarié) préconisée par les plateformes : quelques miettes sous forme d’un revenu minimum très bas et d’un accès à la sécurité sociale pour les coursiers, alors qu'ils restent indépendants. Les plateformes recherchent cette stabilité juridique. Elles veulent consacrer légalement leur contournement du droit du travail. Une telle « troisième voie » ouvrirait la porte à la généralisation des contrats de faux indépendants et des contrats de freelancers. Un contrat d’intérimaire deviendrait ainsi presque un luxe.
La riposte des coursiers
Les coursiers et les syndicats ont rapidement réagi contre cet accord crapuleux. L’analyse du contenu du texte a été largement diffusée parmi les coursiers. Rapidement, des actions ont fait monter la pression. Le ministère du Travail a alors décidé de ne pas reconnaître cette convention collective. La position des collectifs de coursiers à Milan, à Bologne et à Rome et celui du plus grand syndicat CGIL est claire : il faut une convention collective qui prévoie la transition vers un contrat d'employé, respectant le salaire minimum et le droit à la sécurité sociale et donnant aux coursiers accès à des avantages tels que les congés de maladie et les vacances. Les anciennes tentatives de la CGIL de négocier à la place des courriers ont tendu les relations avec les organisations de coursiers. Mais, maintenant, tous sont unis dans le réseau Riders x i Dritti. Ce front de collectifs et de syndicats s'inspire de l’initiative espagnole Riders x Derechos qui participe à la journée d'action internationale du 8 octobre, et qui sera principalement suivie en Amérique latine.
Quelles leçons tirer de cette expérience ?
Ces pratiques crapuleuses montrent avec quelle agressivité les capitalistes de plateforme veulent imposer leur modèle. Mais ce qui vient de se passer illustre surtout à quel point les plateformes sont vulnérables, en particulier dans les situations où elles perdent leur soutien politique. C'est la raison pour laquelle elles veulent faire adopter un « troisième statut » le plus rapidement possible. Après plusieurs années de lobbying intense, un projet de loi allant dans ce sens sera débattu cet automne au Parlement européen.
L'exemple de l'Italie montre que les plateformes sont plus faibles que beaucoup ne le pensent. Lorsque les organisations de coursiers et les syndicats réussissent à développer une activité commune systématique, lorsqu’ils font contrepoids par des campagnes d'information, des blocages routiers, d’occupations et des actions de grève, il est possible d’obtenir des conditions de travail décentes. Notre objectif est de transformer l'ensemble du secteur en un service public sous le contrôle des coursiers.